
Pauses by Noise
Retrouvez-nous le jeudi, pour une Pause by Noise.

La vie en x 1,25
« Euh, tu peux mettre en x 1,25 ? » On n’a pas compris tout de suite, quand notre voisin de canapé nous a demandé d’accélérer le mode de visionnage de « Squid Game ». On ne savait pas qu’aujourd’hui, la plupart des jeunes gens activent le x 1,25 pour regarder Netflix ou YouTube.
X 1,25, c’est une vitesse qui permet de ne rien perdre de l’intrigue des séries, des détails de mise en scène ou des dialogues, même si ceux-ci semblent prononcés par des robots à la voix métallique. Pour ceux qui ont connu les VHS, cela ressemble à ce qui se passait quand on rembobinait les cassettes.
La raison de cette pratique est toute simple et logique. Vu l’offre exponentielle de fictions, le jeune public connecté a trouvé la parade, en adoptant le mode accéléré.
« Mais comment je peux regarder une saison entière sans aller plus vite… d’autant que je suis
4 ou 5 séries en même temps. De toute façon, dès que tu as terminé un épisode, tu n’as qu’une envie, c’est d’enchaîner sur le suivant ! Donc si tu peux gagner du temps, c’est toujours ça de pris. Là, en regardant à x 1,25, tous les quatre épisodes, j’ai déjà vu le cinquième ! »
Pour certains, cela devient même plus agréable, car tout est plus évident. Les blagues arrivent plus souvent, et le rythme accéléré facilite la compréhension de l’intrigue. Tu as l’impression d’être sur la trame de la narration.
Ce qui n’empêche pas de revenir en arrière ou même de ralentir une scène pour la décomposer. « En gros tu deviens réellement acteur, tu choisis ce qui t’intéresse et tu passes sur les longueurs. »
Finalement, est-ce que l’on ne fait pas pareil quand on saute les pages d’un livre, pour lire en diagonale ? La société elle-même a accéléré, c’est même devenu le mode normal.
Le risque, bien évidemment, c’est l’addiction. De toujours vouloir en voir plus et de passer au mode de plus en plus rapide. Dernièrement, le community manager de Netflix US a tweeté :
« Le sommeil est mon pire ennemi ! »
En fait, la société a tellement accéléré, que ce phénomène semble tout à fait évident et limite naturel.
Pourtant, certains l’avouent, mais ils sont rares, qu’ils ralentissent une série… pour s’endormir. Encore un espoir donc!

Le beau fait du bien !
Bien sûr que personne n’a fait attention à ce rapport de l’OMS, basé sur 300 articles scientifiques paru le 11 novembre 2019. Cinq jours plus tard, le COVID 19 apparaissait à Wuhan en Chine, avant de se propager sur la planète.
Ce rapport confirme ce que l’on pressentait depuis longtemps, depuis des siècles, des millénaires même… l’art peut être bénéfique pour la santé de chacun.
J.M.G. Le Clézio, le Nobel de littérature ne dit pas autre chose : « Un jour on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine. »
Certains pays sont déjà bien avancés dans cette approche. À Montréal, par exemple, si vous souffrez d’une maladie chronique comme le diabète, votre médecin peut vous donner une « prescription muséale », une ordonnance pour visiter un musée et ainsi augmenter votre taux de cortisone et de sérotonine.
On connaissait l’effet cathartique de l’art chez Aristote. « Si tu vas au théâtre, le fait d’avoir des acteurs sous les yeux, physiquement présents, ça te permet de vivre par effet miroir leurs émotions et donc ça te “purge” de tes pulsions, de tes fantasmes. »
Aujourd’hui, les neurosciences confirment ce qui était sous-jacent. La musique et les arts visuels aident les malades atteints d’Alzheimer à raviver leurs goûts, leurs souvenirs, leur identité.
« Quand je suis au musée d’Orsay dans la salle des impressionnistes, si je ressens des émotions, des sensations, c’est que la vision des Coquelicots de Monet provoque des réactions chimiques dans mon cerveau, un peu comme un médicament. Ce sont de bonnes substances qui sont sécrétées. » De la dopamine, de la sérotonine (ce qu’on trouve dans tous les antidépresseurs), et de la morphine endogène.
La dopamine, par exemple, est impliquée dans la motricité, c’est ce qui manque aux malades atteints de Parkinson. Elle agit aussi directement sur la partie de notre cerveau qui gère l’élan vital, l’envie de vivre. C’est bien au-delà de l’esthétique, ça touche concrètement notre corps.
Alors, en ce début d’année incertaine, si l’on suivait une petite cure de chorégraphie avec Merce Cunningham, l’incontournable danseur américain qui disait : « Dans mes ballets, il n’y a pas à comprendre, le but est de vous stimuler, vous public, à voir avec plus d’acuité, à écouter avec plus d’attention, à penser plus intensément. »
Quand on vous disait que l’art est essentiel !

Pas simple, cette nouvelle année…
On sent bien qu’on a du mal avec le « Très bonne année à vous tous ».
C’est vrai que cette fois-ci, on n’y croit plus trop à l’année joyeuse. Faut dire que le climat n’est pas complètement à l’euphorie généralisée !
Depuis le 1er janvier, plus de 300 000 personnes positives par jour, on n’arrête plus de faire des tests, PCR ou antigéniques sans plus trop savoir à quel moment les faire et ce que cela veut dire. Les perspectives d’avenir restent très floues.
À quelques mois d’une élection présidentielle, nous vivons un débat politique complètement hystérisé. Un président qui emmerde une partie des Français. Et puis le choc « Don’t look up » qui est peut-être le premier film qui peut faire prendre conscience à des millions de personnes de la catastrophe environnementale à venir. Et pour le coup, le constat est sans appel, désespéré : « Circulez, il n’a y a plus rien à attendre. Nous sommes embourbés dans une société du divertissement qui ne permet plus de réfléchir. »
Et puis un constat que l’on a tous fait, nous sommes fatigués.
C’est la logique même des choix politiques qui ravagent les individus.
« Si je suis fatigué, c’est que je n’arrive pas à me reposer… et si je n’arrive pas à récupérer, c’est que mon temps libre est occupé. »
Alors pour lutter contre cet épuisement, on va chercher à se remettre sur pieds.
Pas des résolutions irréalistes de début d’année, ce qui serait encore ajouter de la pression, simplement des choix.
Twitter, Instagram, Facebook, on désinstalle sans états d’âme. Les newsletters qui arrivent en rafale dans notre boîte mail, on se désinscrit. Le “temps de cerveaux disponible” que d’aucuns avaient théorisé en 2004, on va le récupérer.
On va regagner, minute après minute, tout ce temps que les géants de la communication ont grignoté, colonisé, vampirisé. Souvent avec notre assentiment.
Il s’agit juste de reprendre un peu le contrôle. Une image revient, souvent utilisée pour expliquer le capitalisme libéral aux enfants : « Le capitalisme, c’est quand tu dis à l’autre, donne-moi ta montre et je te donnerai l’heure. »
Ce n’est pas une grande résolution. Mais pour 2022, on récupère la montre sans demander s’il vous plaît. Et l’on a déjà le sentiment que nous allons passer une meilleure année.

Janvier sec !
« Tu sais quoi, on est le 5 du mois et je tiens le coup, je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis le réveillon de la Saint-Sylvestre.» Le Dry January, ce « rituel non alcoolisé » restait confidentiel dans notre pays, mais en ce début d’année, le phénomène semble trouver un véritable écho. C’est près de 10 % des Français qui se disent séduits par ce concept venu d’outre-Manche.
Si le Dry January est né en Angleterre, en 2013, avec l’association Alcohol Concern UK, ce n’est que depuis deux ans que les médias français ont commencé à lui accorder une certaine place à côté de la galette des Rois.
Le principe est simple. On ne boit pas d’alcool pendant tout le mois de janvier. Pas une goutte, même pas un baba au rhum, rien ! Pour beaucoup, c’est juste intenable.
« Mais tu ne crois pas qu’on en prend assez depuis deux ans avec le virus ? Alors si en plus, je peux plus boire une bière… ». Donc, il faut faire gaffe à tes potes, éviter de retrouver Jules à l’Orange mécanique, car tu sais que tu ne vas pas t’en sortir avec un Perrier rondelle.
Les premiers jours, on s’était imaginé une posture ambitieuse : « Ne pas boire, c’est ça être rebelle en 2022 ! » Et puis, le soir en buvant un Kombucha, on a compris qu’on ne serait pas à la hauteur. Pas comme le Che devant un virgin mojito ! Tant pis pour le Grand Soir ! Alors, on va se contenter d’accomplir son Dry January. Avec un petit regret tout de même : « J’aurais même du faire ça en février, y’a que 28 jours ! »
Quand Régis nous a dit qu’il était partant pour faire équipe, ça nous a remis sur pied, de savoir que l’on n’était pas seul. Hyper important d’être engagé vis-à-vis de l’autre. Donc, dans la foulée, on a fait un groupe WhatsApp et ça marche bien. On se fait un point tous les soirs. Avec des petits moments de détresse « Les copains, je vais craquer, je vais braquer le frigo ! Appelez-moi vite, j’ai le décapsuleur en main ! »
Une amie du groupe nous avait dit : « Tu devrais essayer de faire des mandalas en coloriage, quand t’as envie de boire un verre, ça calme… » Eh bien, on ne l’a jamais revue… On est plutôt allé chez Decathlon acheter une paire de runnings, et depuis, quand on sort du boulot, on part courir quarante-cinq minutes aux Buttes Chaumont.
« Je rentre et je prends une douche… sauf qu’après la douche… Donc j’ai viré les bières du frigo et j’ai acheté des carottes et des pommes. Je les mange, un vrai dérivatif. »
La bonne surprise, c’est la disparition des mauvais moods. « J’ai perdu du poids et je dors mieux. Je me réveille clean avec l’énergie agréable de vouloir faire des trucs sympas. »
Ce qui nous fait tenir, c’est le 31 janvier et la perspective de retrouver Régis pour boire un verre. Et avec un peu de chance, on pourra peut-être le boire debout au comptoir.

De la salamandre au panda
Blois, c’est une ville bourgeoise du bord de Loire. Une ville qui, il y a encore quelques années, sentait le chocolat Poulain quand on sortait de la gare.
Et puis Blois, ce fut longtemps la porte d’entrée pour la découverte des châteaux de la Loire. On y descendait pour aller à Chenonceau, Villandry, Cheverny, Beauregard et merveille des merveilles, Chambord.
À la fin des années 1980, les touristes arrivaient toujours plus nombreux.
De France, mais aussi de l’étranger. Les gens ne voyageaient plus uniquement sur le temps des vacances, mais durant toute l’année. On commença à parler de société de loisirs.
Au point que l’on baptisa la gare de Blois, Blois/Chambord.
Le patrimoine bien sûr, mais aussi… les parcs d’attractions. À la fin des années 1990, l’engouement du public est massif, les gens adorent ça. Disneyland Paris devient la première destination touristique de France et même d’Europe.
Et puis au tournant 2000, quelque chose, dans les environs de Blois, suscita l’attention. Le ZooParc de Beauval qui avait été créé vingt ans plus tôt autour de quelques oiseaux, commençait à attirer de plus en plus de visiteurs.
Alors que traditionnellement, l’industrie touristique s’était structurée sur les monuments historiques, les parcs d’attractions venaient casser cette logique.
Le parc animalier passa ainsi de 250 000 visiteurs par an en 1990, à 600 000 au début des années 2010. Beauval devint, au même titre que Chambord, une destination à lui tout seul.
Et puis les choses explosèrent en 2012 avec l’arrivée d’un animal, ou plutôt d’un couple.
Un couple de pandas prêté par le gouvernement chinois. Cette année-là, un million de visiteurs viendront les découvrir.
Dépassant ainsi Chambord et Sa Majesté. Dix ans plus tard, Beauval est à un million et demi de visiteurs par an. Et c’est toute une région qui économiquement renaît. Le parc est devenu le principal employeur privé du Loir-et-Cher.
Dans la France du XXIe siècle, Beauval et ses pandas sont devenus une destination touristique plus fréquentée que Chambord. Un glissement s’est opéré. Comme Disneyland à supplanté Versailles et son château. En un peu plus de trente ans, le loisir a pris le pas sur la culture et l’histoire, et ce, pour les touristes du monde entier.
À la gare de Blois, on rencontre de nombreux enfants avec des pandas en peluche…
beaucoup moins avec la salamandre, l’animal fétiche de François Ier. Et ça ne sent plus le chocolat.

Le noir nous va si bien !
Au départ, donc, il n’y avait pas de masque. Puis, les visages se sont recouverts, en catastrophe, de masques blancs, neutres et chinois. Par la suite, les masques fantaisie en tissu ont été à la mode, jusqu’à ce que la majorité des gens leur préfèrent des masques chirurgicaux bleu clair. On affiche sa protection.
« Et on le porte de quel côté, le bleu à l’extérieur ou à l’intérieur ? » Les masques chirurgicaux sont faits de trois couches : une interne (blanche) plus absorbante, une couche filtrante au milieu, et une externe (bleue). La couleur est un simple repère qui permet de mettre le bleu à l’extérieur.
Depuis septembre dernier, on a tous constaté que les masques prenaient de la couleur. Comme une revendication ou une façon de se distinguer, par exemple, le masque violet que l’on a vu fleurir dans les manifestations féministes. Mais la couleur qui devient, chaque jour, plus présente, c’est le noir. Il faut dire que tous les politiques et les peoples en portent. Ça démédicalise le port du masque, en mettant l’aspect clinique à distance.
Étonnant de revenir à ce qui était la norme jusqu’à la fin du XIXe siècle. C’est l’époque où la médecine devient scientifique et se met à incarner le progrès. Avant, les médecins étaient vêtus de noir, c’était aussi le côté religieux des soignantes. Et puis le noir, c’était la mort car quand tu faisais appel à un soignant, c’est que la mort rôdait.
Au tournant du XXe siècle, on est passé du noir au blanc. Pasteur, la découverte des bactéries et des bénéfices de l’hygiène poussent les soignants à adopter un costume qui met en avant leur nouvelle image scientifique : la blouse blanche en usage dans les laboratoires. Fini le noir, le médical sera blanc.
Aujourd’hui, le masque noir est quasi devenu un accessoire de mode anti-Covid19, un attribut stylé, au même titre que les lunettes ou la ceinture. Le noir qui fait ressortir le teint du visage, contrairement au bleu du masque chirurgical qui nous donne des mines dignes d’une sortie de bloc.
On choisit sa couleur de masque comme on choisit sa couleur de cravate. Les hipsters ne peuvent plus se démarquer par la barbe ou la moustache, c’est par le masque qu’ils vont marquer leur différence.
Chanel, Balenciaga, Vuitton, Adidas, Nike… Maisons de luxe et équipementiers sportifs proposent tous des masques griffés, tous noirs.
La couleur noire nous fait passer d’une contrainte médicale à un signe de distinction. Qu’on le veuille ou non et aussi incongru soit-il, le masque est devenu un marqueur social !

Évidemment, Joséphine !
On a tous en tête son sourire rayonnant et la ceinture de bananes qu’elle faisait bouger autour de sa taille. On connaît moins l’incroyable vie de la première « icône noire planétaire ».
Toujours est-il que c’est un symbole « féminin » qui est entrée, le 30 novembre dernier, au Panthéon. Joséphine Baker est la première femme noire, la première artiste de scène, à trouver sa place au Panthéon des « grands hommes ».
Meneuse de revue hypersexuée et vedette internationale dans les années 1930, résistante engagée pendant la Seconde Guerre mondiale, combattante des droits civiques, mère adoptive de douze enfants, Joséphine Baker est tout cela à la fois.
Alors que l’on nous parle de guerre civile, de migrants et d’identité perdue… la France rayonne plus que jamais de sa diversité. Comme le dit l’historien Pascal Blanchard, « la France est un pays d’immigration, mais ne le sait pas ».
Une France métissée, multiculturelle, que le monde entier reconnaît pour ses talents et sa singularité. Aya Nakamura fait la une de la nouvelle formule de Vogue France. Elle est aujourd’hui l’artiste française la plus écoutée dans le monde.
Elle porte haut et fort les couleurs d’une France plurielle dont les chansons parlent aux générations nourries de réseaux sociaux. Ses clips ont cumulé plus de 2 milliards de vues… Même Rihanna et Madonna ont déclaré leur admiration pour l’interprète de Djadja.
Cette France métissée, c’est aussi Mohamed Mbougar Sarr qui vient de recevoir le prix Goncourt pour son roman « La plus secrète mémoire des hommes » (éd. Philippe Rey / Jimsaan). Une première pour un écrivain de 31 ans, sénégalais et d’expression française.
Cette France métissée, c’est également Omar Sy, à la une du magazine GQ, édition allemande, qui le présente comme « l’homme de l’année ». Cet automne, Omar Sy a signé un contrat phare avec Netflix. Il est le tout premier comédien français à collaborer avec la plateforme américaine. Mi-septembre, le magazine new-yorkais Time le faisait même entrer dans la liste des 100 personnalités les plus influentes de la planète. Le seul Frenchy à y figurer pour l’année 2021.
La beauté, l’engagement et le talent nous permettent de nous projeter dans un désir d’avenir. Un désir qui rend les rêves concrets. Certainement la meilleure des réponses à la tentation du repli.
« Entre ici, Joséphine, la France est fière de t’honorer… »

Bises et (re)bises, ou pas ?
Il a fallu du temps pour que l’on casse la distance, que l’on cherche à retrouver ce reflex du monde d’avant. « Bon allez, on s’embrasse, on est tous vaccinés, non ? » Oui, non, pas si simple !
« S’embrasser ou pas ? » On lisait à l’automne qu’une majorité de Français n’est finalement pas très enthousiaste à l’idée de revenir à la bise du matin.
Alors c’est vrai qu’il y avait bien quelque chose de flou derrière ce geste. Un côté, « on n’est pas simplement collègues de travail, on est quasi amis et on partage une forme de complicité, alors on se fait la bise ? »
Et puis, en ces temps où l’attention est de mise, on n’en pouvait plus de ces passages obligés de certains mecs qui te font une bise bien lourde, appuyée, intrusive au point que tu te sens mal à l’aise.
Car qui dit bise, dit gestes des bras, des mains qui te tiennent par les épaules.
« Ça me fatiguait ces mecs qui se rapprochent de toi, prétextant le bonjour. Pas mécontente du plus de bise… » Metoo est passé par là, le rapport à l’autre a bougé.
Avec la pandémie de Covid-19, tout s’est arrêté net, du jour au lendemain.
Terminé les bises au boulot, terminé le boulot sur place. Les recommandations sanitaires et autres incontournables gestes barrières à appliquer.
« Le bon côté, c’est quand même de ne plus être obligé de supporter le parfum et l’haleine de certains. Et je ne te parle pas des barbes et moustaches aux odeurs douteuses… »
Peut-être, enfin de compte, que la Covid-19 a permis de recentrer la bise sur l’intime, le privé, en plaçant le rapport professionnel à une certaine distance.
Cette séquence qui s’achève avait démarré avec Mai 68 et son envie de casser les barrières sociales. Les garçons, les filles s’embrassaient jusqu’à ce que la bise devienne un geste banal dans le monde du travail, ou en tout cas dans certains milieux.
Cinquante ans plus tard, une pandémie mondiale est passée par là et, comme à chaque fois dans l’histoire, certaines pratiques culturelles sont tenues à distance.
Vaccin, bout du tunnel, sentiment de liberté, on pensait voir la lumière depuis cet été. Pourtant, on sent qu’une micro-distance s’est installée entre chacun d’entre nous.
Un je-ne-sais-quoi de fragilité qui risque d’emporter une pratique que personne ne questionnait. Et si c’en était terminé pour longtemps de la bise du matin un peu comme de fumer en voiture, plus personne n’y songe.
En fait, on va penser à s’installer en Bretagne, dans le Finistère, ou quoi qu’il arrive, les gens ne font qu’une seule bise, c’est déjà ça de gagné. Avant la cinquième vague !

Un tote bag peut en cacher un autre…
On en a tous récupéré ici et là, et c’est bien ça le problème avec les tote bags. Une alternative aux sacs plastiques qui a rapidement séduit des millions d’Occidentaux, mais qui s’avère en définitive être une fausse bonne idée.
C’est peut-être bien chez APC que le premier nous a été donné. On l’a gardé longtemps, avant que viennent ceux offerts dans un festival, un événement culturel, une librairie, une sortie cinéma… enfin pour tout et n’importe quoi.
En quelques années, tout le monde a pris l’habitude d’utiliser son tote bag au quotidien. Et de se balader (“tote ”, trimballer en anglais) dans la rue sans état d’âme avec un nom de marque, transformant ainsi chacun d’entre nous en support publicitaire.
Au départ, on trouve les Jutebeutel, le sac de jute dont les écolos allemands raffolaient à la fin des années 1970. “Jute statt Plastik” (“Du jute, pas du plastique”), c’est ce qui était écrit dessus.
En 2007, Anya Hindmarch, une créatrice britannique, lance le cabas coton “I’m Not a Plastic Bag” (“Je ne suis pas un sac en plastique”). C’est un vrai succès, la mode s’empare du support. La prise de conscience écologique est au rendez-vous. « On est vraiment responsable avec ce tote bag ! »
Sauf que le coton est loin d’être un produit neutre, c’est peut-être même l’un des produits dont l’empreinte écologique est la plus importante. Pour compenser son poids global de production, il faudrait utiliser un tote bag en coton standard, 7 000 fois et 20 000 fois pour un sac en coton bio. « Ce n’est pas compliqué, si tu veux que ton sac soit écologiquement neutre, il va te falloir le porter pendant cinquante-quatre ans ! » Car le coton est très gourmand en eau - plusieurs milliers de litres d’eau pour 1 kg de coton -, sans parler des pesticides.
La culture du coton soulève aussi la question humanitaire des Ouïgours. « T’es au courant, quand même, que cette minorité musulmane, en Chine, travaille le coton dans des conditions proches de l’esclavage ? Or 20 % de la production mondiale de coton vient de Chine. »
Enfin, et ce n’est pas le plus simple, vient le problème du recyclage du sac et de l’encre utilisée pour imprimer slogans et autres logos sur les deux faces du tote bag. Généralement à base de PVC, donc non recyclable. On est obligé de les découper pour mettre de côté la surface de tissu imprimé…
Le tote bag est finalement assez révélateur de nos prises de conscience. On porte à l’épaule un produit supposé “bon pour la planète”, on croit bien faire sans avoir une vision d’ensemble. Alors voici un simple conseil que l’on devrait appliquer aussi souvent que possible : le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas !

La contagion des émotions
Clic/clic/like/cœur/cœur/like… Combien de fois dans la journée cliquons-nous sur ce petit bouton, ce pouce bleu ou ce cœur ? « Les maux de la société viennent des réseaux sociaux et de la dictature des likes ! » C’est ce que l’on entend, depuis quelque temps, au point que certains militent pour que l’on retire les likes des applications.
Le verbe “to like”, qui est employé en anglais pour exprimer le goût, le sentiment que l’on porte à quelque chose ou à quelqu’un, est passé, au début du XXIe siècle et sous l’influence des réseaux sociaux, à l’affirmation d’un choix de consommateur. Mais on oublie un peu vite que de tout temps, les instances de pouvoir ont recherché les applaudissements. Car au bout du compte, les likes ne sont ni plus ni moins que des applaudissements virtuels.
Dans la culture occidentale, l’applaudissement est apparu au théâtre durant l’Antiquité. La convention voulait qu’à la fin de la représentation, l’acteur jouant le rôle principal lançait : « Valete et plaudite ! » (« Portez-vous bien et applaudissez ! »).
À la même époque, à Rome, théâtre et politique ont commencé à se confondre. Et les responsables politiques ont vite compris que les applaudissements leur donnaient la possibilité de communiquer directement avec les citoyens. L’empereur Néron était en permanence accompagné de 5 000 personnes payées pour applaudir au bon moment, durant ses discours.
Et puis au XIXe siècle, les choses se sont précisées. Dans les salles de spectacles, on trouvait des rieurs… qui s’esclaffaient plus que de raison quand il s’agissait de comédie, des pleureuses, principalement des femmes, qui déversaient des litres de larmes pendant les drames. Et des “bisseurs” qui, sitôt le spectacle terminé, réclamaient avec entrain des bis. Tout une organisation culturelle que décrypte très bien le dernier film de Xavier Giannoli « Illusions perdues », d’après le roman de Balzac.
Peu de temps après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, on a reparlé du phénomène. Après un discours enflammé au siège de CIA, on a appris que le président avait recruté près de cinquante personnes pour l’applaudir et entraîner toute la salle dans une standing ovation.
Aujourd’hui, les marques achètent des likes à des sociétés souvent installées en Asie qui en produisent à la demande (des “fermes à clic”), incitant ainsi les internautes à s’intéresser de près à tel ou tel produit. Instagram ou Twitter ne font donc que recycler un phénomène perçu depuis longtemps : la contagion des émotions. C’est tout simple, mais les applaudissements influencent les foules.

Pénuries, etc.
On se disait que cette fois-ci, on avait bien compris la leçon. Que le premier confinement nous avait rendu lucides. On s’était dit, mais oui, « le bonheur, ce n’est pas de consommer encore et toujours plus ». Lapreuve, privés de tout, on avait survécu ! Alors, on espérait un lendemain plus doux et plus raisonnable. On parlait du monde d’après.
Et l’on constate depuis quelques mois, que non, pas du tout, la pandémie a bien laissé des traces. Et c’est bien pire que ce que l’on pensait avec cette soif de consommer qui submerge tous les continents.
Au point que l’on se retrouve en rupture généralisée. « Non, mais tu te rends compte, chez Ikea, on ne trouve plus d’étagère Billy ! On en est là ! » On redécouvre l’effet papillon, où un battement d’ailes d’un côté de la planète, provoque une pénurie à l’autre bout du monde. « Non, mais les pénuries c’est bon pour les pays en guerre ou les pays pauvres, mais pas chez nous, pas en Occident ». Et cette question qui devient préoccupante : « Y aura-t-il des jouets à Noël ? »
Pourtant, le « on veut tout, tout de suite » associé au quasi zéro stock a bien fonctionné tant qu’il n’y a pas eu de grain de sable. Passé les Trente Glorieuses, on s’est dit que l’on pouvait tout faire fabriquer loin, très loin de la France, là où la main-d’œuvre ne coûte presque rien. Il suffisait simplement de transporter les marchandises sur de gros bateaux à travers les océans.
Et patatras, au printemps 2020, en quelques jours, quelques semaines, tout s’est grippé, la pandémie a mis les usines du monde entier à l’arrêt. Et récemment, le blocage du canal de Suez n’a rien arrangé. Puis, nouveau coup dur avec le Brexit et son manque de main-d’œuvre et de transporteurs routiers. Et surtout, ce que personne n’avait vu venir, une demande qui affole toutes les économies.
En gros, ce que l’on a tous connu avec la pénurie de papier toilette au premier confinement est en train de se répéter à l’échelle mondiale. « Si certains stockent, c’est sans doute qu’ils ont des infos que je n’ai pas… donc je stocke ! » Effet domino garanti.
Tout manque : le bois, la laine, les épices, le papier, les semi-conducteurs, le métal, les pièces détachées de vélo, les téléphones portables, les chaussures, etc.
Depuis dix-huit mois, le prix du fret maritime a été multiplié par dix. On manque de conteneurs, on manque de bras pour les décharger, on manque de bateaux pour les transporter. On songe à rapatrier des outils de production, pour certaines opérations, le prix du transport devenant plus important que le prix de la marchandise transportée.
Dans quelques jours, la COP 26 va sans aucun doute, venir alerter les dirigeants, comme s’ils ne le savaient pas déjà, sur les risques encourus par cette course effrénée.
Alors, la bonne idée serait peut-être de se dire que le dernier smartphone n’est pas obligatoire pour Noël ? De toutes les façons, on n’en trouvera peut-être pas en rayon…
Le mystère Vivian Maier
On ne sait que très peu de choses de la photographe américaine Vivian Maier exposée actuellement au Musée du Luxembourg. Pourquoi cette femme, qui n’était pas professionnelle, mais une nounou au service de familles à New York et à Chicago, pourquoi cette femme a tant photographié les gens dans la rue de l’Amérique des années 1950 à 1980 ?
Ce n’est que très récemment que cette histoire incroyable a été révélée au grand public. Depuis, Vivian Maier a fait l’objet de nombreuses expositions et publications. On est en 2007, et lors d’une vente aux enchères, à Chicago, John Maloof, un jeune agent immobilier achète, par hasard, une partie du contenu d’un box au loyer impayé. Une grosse malle remplie de plus de 30 000 négatifs, des diapositives et des effets personnels ayant appartenu à une femme inconnue.
Cet agent immobilier cherche des photos anciennes pour illustrer un livre d’histoire sur Chicago. Il commence à trier et se rend rapidement compte que certaines prises de vue, d’une grande beauté graphique, sont contemporaines des plus illustres photographes américains de l’après-guerre, Robert Frank ou Garry Winogrand, par exemple. Des photographes qui ont saisi l’Amérique au quotidien. Ce que l’on a appelé la street photography.
John Maloof va remonter la piste pour découvrir que Vivian Maier est décédée en 2009, à l’âge de 83 ans, qu’elle n’a pas eu d’enfant, qu’elle vivait seule et qu’elle était quelque peu excentrique et obsessionnelle. Le mystère s’épaissit quand il découvre qu’elle a pris plus de 140 000 photos, qu’elle n’en a tiré que 5 %, et qu’un tiers des pellicules retrouvées n’ont jamais été développées. Toute cette incroyable histoire, John Maloof va la raconter, en 2013, dans un film documentaire, « Finding Vivian Maier », aux allures d’enquête policière.
Dans sa pratique, Vivian Maier saisit des tranches de vie. Elle compose avec précision des images où cristallisent détachement et empathie. Quelque chose de proche et de distant.
Elle a incontestablement un regard pour rendre visibles des personnes que l’on ne voit pas d’ordinaire. Des gens de conditions modestes, d’autres au bord de la misère. Pourtant, une question reste sans réponse : pourquoi a-t-elle pris autant de photographies ?
Elle ne souhaitait sans doute pas conserver des images, mais juste capturer des moments en s’approchant des autres. Peut-être, une façon d’exister.
Une photo à Chicago, en 1960, une scène de rue, sans doute une sortie de bureau, retient toute notre attention. Une photo d’une incroyable modernité. Un couple passe, pendant qu’un homme retient une femme contre le mur d’un l’immeuble. Il l’entoure de ses bras. Une scène de contrainte physique. À la même époque, il n’existe pratiquement aucune photo montrant cela. Pour une raison simple. C’est que tous les grands photographes d’après-guerre sont des hommes. Il faut le regard d’une femme pour en faire une image.
Vous avez tout vu !
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