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56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris
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Pauses by Noise

Retrouvez-nous le jeudi, pour une Pause by Noise.

Le stop du hamster

Le stop du hamster

C’est samedi soir que Alice m’a montré son téléphone portable. « Je suis super contente, je n’en pouvais plus des smartphones hyper sophistiqués… et donc voilà, je me suis acheté un Nokia 3310, un dumb phone. »

On a regardé dans le creux de sa main, ce tout petit téléphone jaune à touches, en ne comprenant pas son choix. Au début des années 2000, on avait eu un Nokia comme celui-ci, c’est un des modèles qui s’est le plus vendu au monde.

Et il fut rapidement populaire pour les SMS, car il offrait la possibilité d’en envoyer du double de la taille d’un SMS standard. On pouvait même composer des numéros à la voix, plutôt qu’au clavier. Et puis il y avait le petit plus, le 3310 proposait 4 jeux dont Snake 2 où il fallait faire slalomer un serpent, pendant des heures, pour éviter qu’il ne se mange sa queue.

Mais c’était il y a vingt ans, et depuis, les smartphones sont devenus tellement plus performants, plus intelligents, au point de devenir complètement indispensables, addictifs… même si, aujourd’hui, la fonction téléphone n’est que peu utilisée.

Alors, comment expliquer ce retour des dumb phones ou téléphones idiots ? Car il s’agit bien d’une réelle tendance. Avec des ventes qui ont complètement explosé dans le monde : 400 millions d’unités écoulées en 2019, un milliard, l’année dernière.

En Angleterre, une personne sur dix utiliserait un de ces téléphones basiques. Est-ce qu’il s’agit du même phénomène que l’on a vu apparaître avec les platines vinyle ? On peut y voir une nostalgie, un phénomène de mode. Ou peut-être plus simplement un besoin de sobriété, de minimalisme. La prise de conscience du côté intrusif des smartphones.

Combien de fois on a constaté que nos données étaient immédiatement récupérées et diffusées à la suite d’une recherche pour une montre ou un livre !

Et Alice de terminer sa démonstration :

« Toutes les applications que j’avais sur mon iPhone ne me servaient à rien et puis cette course à la nouveauté pour des appareils qui coûtent, quand même, une fortune et que tu changes tous les deux ans, ça n’avait plus de sens. »

« Ça peut paraître à contre-courant, mais j’avais le sentiment de toujours courir après ce progrès technologique qui court plus vite que moi… comme un hamster dans sa roue !

Avec mon Nokia 3310, je retrouve une forme de maîtrise de mon temps, et je peux te dire que ça fait un bien fou. Quand tu tapes un message avec ce genre de clavier, vu le temps que ça prend, c’est vraiment que ton message est important ! »

Appel à déserter

Appel à déserter

Ils sont huit à être montés sur scène dans une ambiance festive. Quatre garçons et quatre filles, étudiants et étudiantes à AgroParisTech, la prestigieuse école d’ingénieurs agronomes. Ils ont été formés pour exercer leur métier dans les secteurs de la transformation agro-industrielle, des ressources agricoles et forestières, des biotechnologies.

C’était le 30 avril dernier et la direction de l’école ne s’attendait pas au discours que les nouveaux diplômés avaient préparé. Comme une mise au point définitive ! Un discours appelant à déserter les emplois qui leur étaient réservés. Un discours de combat, un discours de refus et de prise de conscience.

« Ce que nous voyons, c’est que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie, partout sur terre. AgroParisTech forme, chaque année, des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie, de diverses manières : trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui renforcent l’asservissement des agriculteurs ; concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les maladies causées ; inventer des labels “bonne conscience” » Dans la salle, certains sont médusés, beaucoup applaudissent  cette bifurcation qui marque les esprits et ne laisse personne indifférent. « Nos métiers sont destructeurs, il est temps d’agir ! »

En quelques jours, la vidéo va être massivement relayée, plus de 400 000 vues sur YouTube. « Ne perdons pas notre temps, ne laissons pas filer cette énergie qui bout en nous. Désertons, avant d’être coincés par les obligations financières. »

Alors que vont-ils faire demain ? Ils vont venir parler de leur conversion, ce que seront les jours prochains. L’une fait déjà de la culture vivrière à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un autre prépare son installation comme apiculteur dans le Dauphiné, l’une vient de rejoindre le mouvement “Les Soulèvements de la terre”, contre l’accaparement des terres agricoles, un garçon vit à la montagne en faisant un boulot saisonnier, deux s’installent dans une ferme collective.

Il y a quelques jours, ce sont 150 étudiants des Écoles normales supérieures qui, à leur tour, ont pris la parole dans une tribune du Monde intitulée “Alignons notre pratique scientifique sur les enjeux impérieux de ce siècle”, et dans laquelle ils posent cette question : « Que restera-t-il du vivant à étudier, si nous n’avons rien fait pour l’empêcher de s’effondrer ? »

Quelque chose bouge. C’est toute une génération, du moins une partie, qui aujourd’hui, déserte la carrière qui leur était destinée et ose dire non à un système économique prêt à leur offrir de gros salaires. Un autre monde est possible, dit-on, ces jeunes gens l’entrevoient et c’est plutôt encourageant !

Cultiver la terre autrement

Cultiver la terre autrement

Un jour de 2006, Charles et Perrine Hervé-Gruyer se sont arrêtés dans un petit village de la vallée de la Risle, en Normandie. Le Bec-Helloin, connu pour une abbaye bénédictine où les moines cultivent des produits du terroir.

Juriste internationale dans un cabinet d’avocats, Perrine a vécu au Japon et a gardé quelque chose de la philosophie des jardins japonais. De son côté, Charles était marin éducateur et emmenait des enfants faire le tour du monde. Et cela faisait déjà un moment, que tous les deux avaient du mal avec les incohérences de nos modes de vie.

Sans doute aussi le fantasme du retour à la terre. Alors dans ce petit village normand, ils ont acheté un herbage de quelques hectares avec des vaches. Là où personne ne faisait de maraîchage.

Charles et Perrine Hervé-Gruyer ne sont pas agriculteurs, mais citadins… et manifestement visionnaires : « Comment faire pour survivre de façon la plus autonome possible, en étant le plus économe possible dans sa relation à la nature, tout en se passant du pétrole ? » Il ne s’agit pas de revenir au Moyen Âge, mais plutôt de réfléchir à mettre en place des techniques permettant l’autonomie.

Ils vont alors s’intéresser à la permaculture (un mot-valise pour permanent et culture). Un système théorisé et mis en pratique en Australie dans les années 1970. Quelque chose qui ressemble à l’association et à la complémentarité des cultures que pratiquaient les maraîchers parisiens au XIXe siècle pour fournir les halles.

Au fil des années, leur pratique va se développer, s’enrichir et devenir un véritable laboratoire d’expérimentations à ciel ouvert. « Un agriculteur qui a un tracteur, quand il tourne la clé de contact, il a la puissance de plusieurs centaines d’êtres humains qui travaillent pour lui instantanément et à faible coût. Nous, on a choisi de se passer de ça. Est-ce que ça veut dire qu’on est tout nus, désarmés, très faibles pour autant ? Eh bien finalement, non. Parce qu’on s’appuie sur d’autres formes d’énergie, d’autres puissances, d’autres forces. »

Il va falloir une dizaine d’années à Charles et Perrine Hervé-Gruyer pour mettre au point tout un écosystème extrêmement riche. Nouvelles techniques, nouvelles approches : la ferme du Bec-Helloin va devenir ainsi une référence internationale incontournable. Et c’est des quatre coins du globe que l’on va venir s’enrichir de leur pratique de la permaculture.

En 2019, ils publieront chez Actes Sud un ouvrage conséquent sur la permaculture, “Vivre avec la terre”, qui va rapidement devenir un best-seller. Car tout semble donner raison au couple précurseur du Bec-Helloin. Il va nous falloir apprendre l’autonomie, car il est largement temps d’inventer une nouvelle manière de cultiver la terre.

L'effet barquette

L'effet barquette

Personne n’avait fait le lien. Qui aurait pu imaginer, fin février, que l’invasion de l’Ukraine par la Russie allait avoir comme conséquence directe… de remettre en cause l’existence même de la barquette de frites ?

Deux mois après le début de la guerre, les rayons d’huile des supermarchés sont en partie vides. Et l’on a vu fleurir des affichettes annonçant « Pas plus de deux bouteilles d’un litre d’huile de tournesol, par personne ».

La raison est toute simple, l’Ukraine est le plus grand producteur d’huile de tournesol, soit 50 % des exportations mondiales. Avec la guerre aux portes de l’Europe, la fourniture des 200 000 tonnes mensuelles d’huile de tournesol a été stoppée, dès le début du mois de mars.

Alors, depuis quelques jours, c’est une “drôle de quête” que les professionnels de la frite mènent au quotidien. Trouver de l’huile, coûte que coûte ! Contacter tous les fournisseurs, traquer la moindre piste, être en alerte permanente, se déplacer immédiatement, dès que l’on entend parler d’un point de vente approvisionné.

« Ce n’est pas compliqué ! On est passé de 30 euros le bidon, à 75 euros. Et chez certains fournisseurs, la barre des 100 euros a été dépassée ! » Les grossistes ont été contraints de rationner. Chez Metro, c’est 2 bidons de 25 litres par personne et par jour, pas plus. 

Au point que les restaurateurs et les friteries se retrouvent à devoir proposer à leurs clients des alternatives aux produits frits.

Le prix de la barquette s’en ressent, 4 euros, à la place de 3,50 euros.

« Et le client ? Comment réagit-il ? »

« Les gens comprennent, mais ça ne règle pas le problème de l’approvisionnement, je ne trouve pas d’huile ! »

Chez nos voisins britanniques, c’est un véritable symbole qui se retrouve menacé par la crise, le fish and chips. Entre 30 % et 40 % du poisson utilisé pour les fish and chips venaient de Russie. Faute d’huile ukrainienne, le poisson frit enveloppé dans du papier journal fait défaut, outre-Manche.

C’est peut-être ce que l’on appelle l’effet papillon… qui en dit long sur l’extrême fragilité de nos systèmes économiques. « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » 

Au-delà de la pénurie d’huile, c’est l’incertitude qui refait surface. Isabelle, de la friterie des puces de Vanves l’évoque avec inquiétude : « Avec cette histoire d’huile, on ne peut pas se projeter sur le long terme, car personne ne sait comment les choses vont évoluer. Aujourd’hui, je travaille sans même savoir si je vais gagner quelque chose ! »

Quand les perspectives de vie tiennent dans une barquette de frites, sauce Samouraï !

Jamais content !

Jamais content !

C’est souvent quand on débarque à l’aéroport de Roissy, après avoir passé quelques semaines à l’étranger, que l’on fait le constat… le Français n’est jamais content. “La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer !” selon le bon mot de l’écrivain voyageur Sylvain Tesson.

Ça ne va jamais, toujours ça critique, ça se révolte, ça manifeste pour tout. Le Français est râleur, il fait la gueule. Le tout, ponctué d’un truc intraduisible, le “rrrhhh” dans la gorge. Ces derniers jours, pour le second tour de l’élection présidentielle, les Français ont réélu le président sortant Emmanuel Macron, mais ils sont près des trois quarts à vouloir, dès demain, une Assemblée nationale de gauche. Jamais contents !

On a en tête la chanson d’Alain Souchon.

“Elle me dit que j’pleure tout le temps
Que j’suis comme un tout p’tit enfant
Qu’aime plus ses jeux, sa vie, sa maman
Elle dit que j’pleure tout le temps
Que j’suis carrément méchant
Jamais content
Carrément méchant
Jamais content”

Nous sommes un peuple de boudeurs, de rouspéteurs, de chouineurs. Ça ferait partie de nos gènes. On ne compte plus les articles de Courrier International qui épinglent ce trait de caractère. “Ça ne va jamais, et même quand ça va, ça pourrait aller mieux !” 

Lorsqu’on demande aux Français de résumer leur état d’esprit, les mots “incertitude”, “inquiétude” et “fatigue” arrivent en tête. Le Français n’est pas optimiste.

En parallèle, les pays les plus optimistes ne sont pas les plus avancés économiquement. Les premières places sont occupées par le Nigeria, les Fidji, l’Inde et le Pakistan. 

La nostalgie, c’est peut-être ce qui nourrit ce sentiment. La nostalgie d’une époque fantasmée, glorieuse et prospère. Un sentiment de déclassement sur la scène internationale qui n’est pas si éloigné du déclassement individuel, éprouvé au quotidien par la classe moyenne. “C’était mieux avant !”

Depuis les années 1980, la “dépression française” se nourrit d’un chômage élevé, des inégalités qui se creusent, de l’insécurité, d’une immigration médiatisée, de la pollution, de la météo, en gros de tout… Comme dans les autres pays, les Français ont de bonnes raisons d’avoir des craintes. 

Mais il y aurait autre chose. Un quelque chose que les autres n’ont pas et qui ferait partie de notre mode de vie. Ce quelque chose que les Anglais ou les Américains ne comprennent absolument pas, c’est que se plaindre aurait une fonction sociale. Râler serait un tic de conversation culturelle, un truc typiquement français pour engager un dialogue. En gros, quand on dit que ça ne va pas, c’est juste pour discuter. En fait, ça ne va pas si mal !

Et si tu demandes son avis à un Marseillais, il n’y a pas photo. Pour lui, le Français le plus râleur, c’est bien évidemment le Parisien qui n’a ni la mer ni le soleil. Et la conversation est engagée pour tout l’après-midi !

Survivalisme, une tentation ?

On a commencé à en entendre parler sérieusement à la sortie du confinement.
De plus en plus de Français devenaient sensibles au survivalisme.
« Après ce que l’on vient de vivre, je suis persuadé que tout va s’effondrer dans les années à venir, il faut s’y préparer ! »

Quand le mot “survivalisme” apparaît aux États-Unis dans les années 1960, il désigne des gens terrifiés par le communisme et la menace nucléaire. On a tous en tête ces images d’Américains empilant des boîtes de conserve dans un abri antiatomique. Et puis, petit à petit, c’est l’écologie et l’état de la planète qui vont sensibiliser autour d’une préoccupation : comment vivre en autonomie ?

Depuis dix ans, les choses s’accélèrent, on est passé d’un survivalisme “bien-pensant” “Comment je fais pour vivre au milieu de la nature, en me nourrissant de ce que je trouve ?” à un survivalisme apocalyptique, avec formation militaire ou paramilitaire, proche de l’extrême droite.

En gros, deux visions diamétralement opposées, ceux qui sont convaincus qu’il faudra se défendre seul en s’armant jusqu’aux dents et ceux qui, au contraire, pensent que c’est en jouant la carte de la solidarité et du partage qu’on pourra y arriver.

On a même un salon du survivalisme, ce qui en dit long sur l’importance économique du phénomène. Il y aurait près de 300 000 survivalistes, en France, prêts à affronter concrètement l’effondrement. Un salon où l’on trouve tout un tas de choses, rations de nourriture, matériel médical, gilets par balle et stages de survie, mais aussi livres, jeux vidéo.

“Survival, le magazine de survie en milieu hostile” tire à plus de 30 000 exemplaires. On peut y apprendre à construire sa « BAD », sa « base autonome durable, l’abri où tu pourras te réfugier pour survivre en cas de crise ».

Stage de survie, d’un côté, où l’on parle permaculture et adaptation au milieu sauvage, et de l’autre, radicalité qui flirte avec la violence dans des camps d’entraînement à forte charge idéologique. Aujourd’hui, en France comme aux États-Unis, c’est le survivalisme de combat qui domine.

La DGSI prend, paraît-il, les choses très au sérieux, car ce n’est jamais rassurant de savoir que des personnes effrayées et radicalisées commencent à s’organiser et à se regrouper. D’autant que la guerre en Ukraine n’a fait que confirmer ce que certains pensent depuis longtemps… la menace est réelle, il faut nous y préparer. 

Fossé générationnel à l’horizon

Fossé générationnel à l’horizon

On sent bien que la société française est en train de bouger, et que cette élection présidentielle 2022 a un goût particulier. Au-delà de nos divergences d’opinions, les résultats du premier tour sont riches d’enseignements. Le plus important de tous, c’est sans doute la différence manifeste de vision entre les générations.

D’un côté, il y a la jeunesse, qui a subi de plein fouet les différents confinements dus à la pandémie de Covid-19. Elle sort épuisée du quinquennat, en ayant bien compris que le futur préparé par la génération des Trente Glorieuses était incertain, pour ne pas dire effrayant.

Le 10 avril les jeunes se sont plus déplacés que leurs aînés. L’abstention n’atteint que 24 % chez les 18-24 ans. Et ceux qui sont allés voter, se sont plus souvent prononcés pour les candidats de gauche que leurs aînés.

Ainsi, 29 % des 18-24 ans ont voté pour Jean-Luc Mélenchon, contre 20 % de l’ensemble des Français. Yannick Jadot, lui, a obtenu la faveur de 8 % des moins de 24 ans, alors qu’il n’a recueilli que 4 % du total des suffrages.

De l’autre côté, il y a la génération de Mai 68, aujourd’hui à la retraite, et qui ne compte pas renoncer à son confort et ses avantages. Ces seniors, qu’il a fallu protéger du Covid-19, en mettant toute la population sous cloche. Ils ont profité de la croissance des années 1960 et 1970, des emplois stables, et de la retraite à 60 ans. Cette génération, elle, a voté massivement pour Emmanuel Macron.

Le fossé générationnel se creuse-t-il ? L’espoir à portée de bulletin de vote a-t-il été illusoire ? Il est trop tôt pour y répondre. La seule chose dont l’on soit sûr, c’est qu’il n’est jamais bon de désespérer la jeunesse…

Alors, à ce moment, on se souvient de Wolinski, le dessinateur de Charlie Hebdo, qui disait souvent le sourire aux lèvres : « On s’est battu en Mai 68 pour ne pas devenir ce qu’on est devenu ! »

De l’art de la nuance

De l’art de la nuance

Est-ce l’approche du premier tour de l’élection présidentielle ? Est-ce le fait que certains pointent du doigt l’absolue nécessité de la nuance ? Dans tous les cas, il y a une prise de conscience, la nuance est d‘évidence vitale à notre vie en société, au vivre ensemble.

« Prenons un exemple, là, vous voyez ce mur, parlons de sa couleur… il est vert n’est-ce pas ! Ou bien, c’est une teinte bleutée, mais réchauffée par une pointe de jaune qui fait vibrer la surface. Suivant le moment de la journée et la lumière, on peut ressentir des variations, des dégradés même, du turquoise aux verts indéfinis. »

Accepter la nuance, c’est accepter que les choses ne soient pas définitives. Peut-être même accepter de ne pas savoir. Pourquoi c’est difficile de dire « Je ne sais pas ? »

Une conversation sans nuance donne toujours l’impression d’avoir raison, le sentiment de ne pas douter. Car la nuance a bien évidemment à voir avec le doute, l’incertitude, la prudence. Le paradoxe, aujourd’hui, c’est qu’un propos nuancé semble se fragiliser par la forme qu’il prend. « Ce type-là, on ne sait pas ce qu’il pense, il n’est pas clair. Il n’inspire pas confiance. »

Et si finalement, tout cela était lié à une crise du langage ? L’invective publicitaire est devenue la norme. “Buvez, éliminez” “Just do it !” “Parce que je le vaux bien” “What Else”.

Clamer un slogan et réfléchir, ce sont deux choses bien différentes, ce n’est pas la même temporalité. Sauf que l’on voit bien que nos conversations sont impactées par les formules, les éléments de langage, les punchlines.

Des phrases courtes, binaires, des tweets de 140 signes, qui abîment le langage par l’absence de nuance et d’argumentation.

Sur les réseaux sociaux, la radicalisation est extrêmement rapide. Tellement, qu’elle occasionne perte de contrôle et débordement. Il faut s’indigner, encore et toujours plus fort, clasher pour exister. La surenchère verbale est la meilleure garantie que vos quelques mots circulent rapidement, qu’ils soient likés, retweetés, diffusés.

La nuance, donc une certaine “tiédeur”, ne peut que vous faire disparaître, voire non-exister.

Pourtant, quand vous êtes face à quelqu’un, souvent naturellement, la nuance revient. Malgré tous les algorithmes possibles, nous restons des animaux sociaux, nous avons besoin de rencontres pour discuter, pour apprendre, mais aussi pour ne pas être d’accord et débattre. La rencontre “en vrai” comme lien social et la nuance comme accélérateur ! Beau programme non ?

Tu dors ? Moi, non plus !

Tu dors ? Moi, non plus !

C’est au début du XXe siècle, lors de la Première Guerre mondiale, que l’on a pensé à changer d’heure entre l’hiver et l’été. Et déjà, pour des histoires d’économies d’énergie. En 1976, après le premier choc pétrolier, le changement horaire s’est généralisé à l’Europe. En profitant d’une heure d’ensoleillement supplémentaire, on consomme moins d’électricité, le soir.

« Bien gentille, l’Europe ! Sauf qu’à chaque fois, il me faut plus d’une semaine pour recaler mon rythme de sommeil ! » En 2019, la Commission européenne a proposé de supprimer l’heure d’été… sans succès, vu la difficulté à harmoniser les fuseaux horaires entre les différents pays.

Un petit désagrément qui n’est rien à côté des habitudes nocturnes de nos ancêtres…

Pendant des siècles, des millénaires même, les gens se couchaient vers 21 heures et se réveillaient autour de minuit, pour rester éveillés environ une heure, avant de retrouver le sommeil. C’est ce que l’on appelle le sommeil biphasique, une nuit fractionnée en deux temps. Sans doute quelque chose qui correspond à un rythme biologique.

Les gens restaient au lit, priaient, méditaient, avaient une sexualité très riche. C’était aussi un moment privilégié pour s’occuper du foyer, des animaux, des enfants.

Donc très différent de notre sommeil continu.

Et puis au XIXe siècle, la révolution industrielle a balayé tout cela. L’éclairage artificiel, d’abord au gaz puis à l’électricité, a bouleversé notre sommeil.

La durée de luminosité d’une journée a artificiellement augmenté. Le capitalisme a remis en question notre rapport au temps, en donnant plus d’importance à l’efficacité et à la ponctualité.

Les loisirs qui se sont développés peu à peu dans les villes ont retardé le coucher. Jusqu’à faire disparaître, à la toute fin du XIXe siècle, le premier sommeil. On a ainsi dormi, sans interruption, une nuit de sept ou huit heures. Dans les cultures non occidentales, moins exposées à la lumière artificielle, ce sommeil fractionné existe encore.

Et finalement, quand on a du mal à trouver le sommeil, ou que l’on se réveille en pleine nuit, c’est peut-être une réminiscence de cette forme de sommeil ancestrale, biphasique, qui a préexisté, pendant des millénaires.

Comme quoi, la lumière est très importante au quotidien. Avec le passage à l’heure d’été, c’est une heure de luminosité naturelle en plus que l’on gagne… et vu le degré de noirceur du moment, on en a bien besoin !

La sucette et le fusil

La sucette et le fusil

Il a fallu du temps, après la sidération et la stupeur, pour que l’on mesure à quel point nous n’étions pas préparés à la guerre. Ce matin, on a retrouvé une photo qui avait retenu notre attention. C’était deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Un ingénieur de Kiev, conscient de l’imminence du conflit, avait imaginé mettre en scène sa propre fille de 9 ans, fusil dans les bras et sucette à la bouche, en train de scruter l’horizon incertain. Faire une photo qui a du sens, faire un symbole de la résistance.

C’était le 22 février et les médias parlaient d’escalade, mais la guerre semblait impensable, inimaginable. « Cette guerre ne pouvait pas avoir lieu. » Sauf que cet ingénieur, cette guerre, il la sentait imminente.

Il fallait montrer sur les réseaux sociaux que les Ukrainiens étaient prêts à défendre le pays.

Il s’agissait, pour lui, de provoquer l’opinion publique.

« Quand j’ai publié la photo, la veille de l’invasion, certains m’ont critiqué. Pourquoi avoir fait poser une fillette, arme à la main ? Et puis le 24 février au matin, Poutine a envahi le pays et je n’ai plus eu de messages. » En quelques heures, tout s’est effondré.

Et ce que l’on avait imaginé d’un Nouveau Monde, où les mentalités avaient évolué, où les hommes et les femmes partagent un quotidien de vie, fait d’attention et de respect, tout a été balayé en quelques heures.

La guerre ne broie pas que les corps et ne détruit pas que les bâtiments, elle ramène quasi instantanément les vieux stéréotypes des temps anciens : les hommes qui se battent pour leur pays, leur famille, et les femmes en pleurs.

Et les images ont suivi, les hommes, armes à la main, et les femmes bébés dans les bras.

Une autre photographie a fait la Une de nombreux quotidiens.

Sur le quai de la gare de Kiev, un homme fait un signe de la main à travers la vitre d’un wagon, à sa femme et à son enfant en larmes fuyant la guerre.

« Hommes courageux et femmes en pleurs ». L’impression de revoir les affiches de propagande
de la Deuxième Guerre mondiale.

Demain, il va falloir reconstruire tout ce que Poutine est en train de détruire. Quant aux stéréotypes, cela mettra beaucoup de temps pour rattraper le temps perdu.

Influenceurs jusqu’où ?

Influenceurs jusqu’où ?

Il fut un temps, dans l’ancien monde, où nos idoles étaient des chanteurs de groupes de rock, des acteurs ou des actrices de cinéma. On se projetait, on rêvait. On se construisait une identité à leur image. Dans le Nouveau monde, les idoles, ce sont les influenceurs.

Dans les cours de récréation, on ne parle que de Lena Situations, Mc Fly & Carlito, EnjoyPhoenix ou Squeezie (14 millions d’abonnés) : des garçons et beaucoup de filles qui vivent en se racontant auprès de leur communauté sur les réseaux sociaux. Ils sont plusieurs milliers en France et près des trois quarts ont entre 1 000 et 50 000 abonnés. Leurs sujets de prédilection : le lifestyle, la mode et la beauté.

Au départ, il y a une passion ou un savoir-faire, mais c’est souvent l’envie de gagner de l’argent qui est le vrai moteur. «Et tu peux passer un BTS d’Influenceur? » Eh bien, non. « Règle numéro un : il faut être beau, classe, et ça, c’est déjà 50 % des followers. Le reste, c’est du plus, c’est ce que tu apportes… Quand tout ça est en place et que tu commences à être suivi, tu peux devenir prescripteur, les marques te contactent. »

Car pour les influenceurs, le placement de produits est la source principale de revenus.

Tout explose à l’automne 2010 avec l’arrivée d’Instagram. Il faut dire que les annonceurs vont rapidement comprendre leur intérêt. Plutôt que de dépenser des fortunes en achat d’espaces publicitaires sur des médias que les jeunes ne regardent plus, ils vont passer des contrats, des partenariats avec des influenceurs qui parleront de leurs produits pendant une semaine ou deux.

Une story sur Instagram, c’est autrement plus impactant qu’un classique spot publicitaire à la télévision qui te dit que ce produit est tellement formidable parce que tu le vaux bien ! C’est de l’influence indirecte, comme si tu parlais avec un copain ou une copine. Il s’agit de personnaliser au maximum la communication. Ça se veut hyper naturel, alors que tout est parfaitement scénarisé. «Natoo, elle est complètement authentique, moi, je m’en fous des histoires de partenariat, je sais qu’elle me parle à moi.»

Prescripteurs de modes de vie idéalisés, popularité grandissante, public jeune, millions de followers, tout est réuni pour que les influenceurs deviennent de véritables leaders d’opinion. Aux États-Unis, ils ont été très actifs durant la dernière campagne présidentielle.

En France, à deux mois du scrutin, on peut se poser la question : les influenceurs vont-ils avoir un impact sur les opinions politiques de leurs followers ? Avec quelle expertise ? L’année dernière, le président Macron s’était appuyé sur McFly et Carlito, pour inciter les jeunes à se faire vacciner contre la Covid-19 et à respecter les gestes barrières. Les influenceurs sont-ils déjà devenus les nouveaux amis du pouvoir politique ?

Le denim, révélateur de la mondialisation

Le denim, révélateur de la mondialisation

Mondialisation, mondialisation… L’étranger, la Chine, le transport en bateau, OK. Mais si on prenait un exemple précis pour comprendre cette histoire ? Et quoi de plus caractéristique, comme objet planétaire, que le jean ?

On en fabrique chaque année plus de 2 milliards d’exemplaires. Du lieu de culture du coton jusqu’au lieu de son assemblage, le blue-jean aura parcouru une fois et demi le tour de la planète. C’est 65 000 km de transport, avant d’arriver dans nos boutiques. « Sauf que l’étiquette ne nous donne guère d’information pour comprendre ce long périple. »

L’aventure commence en Inde, le premier producteur mondial de coton. Et puis, ce coton est envoyé chez le voisin pakistanais pour être filé et tissé. Nouvelle étape ensuite à 4 800 kilomètres plus à l’Est, à Xintang en Chine. Là, environ 3 000 usines vont produire la toile nécessaire à la fabrication de 800 000 blue-jeans par jour. C’est dans la « capitale mondiale du jean » que la toile va être teinte en bleu indigo. Pour cela, on fait venir un pigment de synthèse produit en Allemagne.

Prochaine destination, la Tunisie, à 9 500 km. Sur place, le salaire des ouvriers qui assemblent la toile est en moyenne dix fois plus bas qu’en France. On va ajouter les petits rivets qui viennent d’Australie, la fermeture éclair, une spécialité du Japon, et des boutons en cuivre qui arrivent très souvent de la République démocratique du Congo. Le jean va alors être délavé, artificiellement vieilli et pour cela, il est envoyé au Bangladesh ou en Égypte.

Le blue-jean est enfin terminé, il va pouvoir revenir chez nous, dans les boutiques de fast fashion ou de prêt-à-porter. En France, on en vend chaque année plus de 90 millions d’exemplaires.

Les 18 composants nécessaires à la fabrication d’un jean sont venus du monde entier. Entre la culture du coton et le traitement de la toile, il aura consommé environ 11 000 litres d’eau. La moitié de la pollution associée à la fabrication d’un jean est liée à la culture du coton, l’autre moitié est liée au transport. Aucune activité agricole ne consomme autant de produits chimiques que le coton, soit un quart des pesticides produits dans le monde par an.

« Le paradoxe, c’est quand même que le jean vient de chez nous, de Nîmes où cette industrie était florissante au XIXe siècle. » En effet, c’est le jean « de Nimes » qui devint le denim.

En France, depuis plus de dix ans, l’idée de produire localement fait son chemin et l’on trouve, aujourd’hui, plus d’une dizaine de marques qui fabriquent leurs jeans sur place. Le prix reste un argument important, il faut compter entre 90 € et 140 € pour un blue-jean français. Mais les clients étant désormais soucieux de l’impact environnemental, la tendance est de consommer moins et de meilleure qualité. Pour que les denims arrêtent de faire le tour du monde.

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