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Pauses by Noise

Retrouvez-nous le jeudi, pour une Pause by Noise.

L'homme et la mer

L'homme et la mer

C’est pas très “start-up nation”, cette histoire de course autour du monde à l’ancienne, remportée par un senior navigant sur un bateau des années 1970. Pas très high tech ni univers numérique.

A 73 ans, Jean-Luc Van Den Heede, que l’on surnomme VDH quand d’autres parlent du “Clint Eastwood du large”, a remporté la mythique Golden Globe Race, le 29 janvier 2019. Sans assistance et sans escale. Depuis quarante-deux ans et de nombreuses participations à des courses diverses, c’est la première fois que le navigateur français s’attribue une victoire.

Il y a cinquante ans, le journal britannique “Sunday Times” avait lancé un défi, le Golden Globe Challenge. Faire le tour du monde à la voile, en navigant sans technologie moderne et sans bénéficier des aides à la navigation par satellite.

Faire le tour du monde en passant par les trois caps de référence, Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn. Avec un bateau ne faisant pas plus de 10 mètres de long. Les catamarans de la dernière Course du Rhum faisaient plus de 30 mètres pour 23-25 mètres de large. Des monstres à côté du bateau de VDH.

En 1968, Robin Knox-Johnston remporta la première course, en étant le seul des neuf participants à terminer le tour du monde en 312 jours. Jean-Luc Van Den Heede lui succède après avoir passé 212 jours en mer. Soit 100 jours de moins.

Deux cent douze jours, c’est quasiment trois fois plus de temps qu’Armel Le Cléac’h (74 jours) et son record au dernier Vendée Globe 2016-2017 avec un Imoca ultra moderne, bardé des derniers outils technologiques.

Pendant plus de dix mois, Jean-Luc Van Den Heede est resté silencieux. Interdiction d’utiliser le téléphone, sauf urgence absolue. Interdiction de recevoir des cartes météo par satellite, navigation uniquement au sextant, un seul régulateur d’allure.

Le 5 novembre, VDH a été pénalisé de dix-huit heures pour avoir contacté son épouse par téléphone satellitaire. Il avait craqué… il n’en pouvait plus, il venait de chavirer et pensait abandonner.

Durant la course, ayant emporté peu de réserve d’eau, il utilisait un dessalinisateur à main. Une heure pour obtenir un demi-litre d’eau à la force du bras ! VDH avait quitté les Sables-d’Olonne avec des bouteilles pour boire un verre de vin rouge à chaque repas. Il avait embarqué les œuvres de Montaigne et l’équivalent de deux ans du “Canard Enchaîné”.

“Je suis content d’être là ! Ce qu’on a fait, c’est beaucoup une question de moral. Ça m’a été plus utile d’avoir du moral que de la force physique. (…) J’avais déjà vécu 122 jours, il s’installe une certaine routine mais pour y arriver, il faut être en phase avec soi-même.”

On avait lu le poème de Baudelaire en CM1. “L’homme et la mer”. On ressent un immense respect pour Jean-Luc Van Den Heede.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »

Extrait de “L'homme et la mer”. “Les fleurs du mal”, Charles Baudelaire, 1857.

L’injonction au bien-être

L’injonction au bien-être

Depuis quelques mois, on commence à ressentir comme une sensation d’encerclement dans le quartier. Une salle de sport, à quelques pas de République, et puis un grand espace dédié au yoga… qui ouvre dès 6 h 30.

Il n’ouvre pas pour le ménage, il ouvre à l’intention des femmes (faut être honnête, il y a quelques hommes aussi), qui veulent se faire une heure ou deux de relaxation avant de filer au bureau. Et un, puis deux centres de relaxation, des spa urbains avec de l’eau à 35°, des hammams où tu passes la journée en peignoir blanc, entre douche et thé vert détox.

Une forme de bien-être qui deviendrait envahissante. Alors, bien sûr qu’on comprend que plus le monde est incertain, impalpable, et plus on se rabat sur le corps. Que c’est l’une des dernières choses que l’on peut modeler et contrôler à sa guise. Ce besoin que l’on a tous de sentir le concret.

Au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie. On se doit d’optimiser notre corps. On en a quasi le devoir. Pour nous, mais aussi pour l’économie, pour l’entreprise. « Eh oui, mec, faut rester en forme, on n’a pas le choix ! Il faut montrer que l’on est productif. » Sauf qu’il y a plein de boulots qui sont abstraits. Au point que les gens ont du mal à définir ce qu’ils font.

« Ça me soûle un peu, tous ces winners qui font du consulting ! Tu peux me dire en deux mots de ce que tu fais… pour toi, pour les autres, pour améliorer la société ??? » Ça devient compliqué de se prouver que l’on est productif, alors que l’on a des boulots dont la finalité est très vague.

Et là, tu te dis que la salle de sport est l’un des rares lieux, où le travail donne des résultats tangibles. Tu cours, tu perds de la graisse. Tu soulèves de la fonte, tu prends du muscle. « Hier soir, je me suis fait une heure et demie d’Extreme Bootcamp… je peux te dire que le résultat, c’est très concret quand je rentre dans le métro et que je vois le regard de certaines femmes. Y’a un vrai retour sur investissement. »

Aujourd’hui, la société nous convainc que le bonheur est partout. Et qu’il faut être heureux. Pas le choix. Dans nos relations, au bureau, à chaque instant de nos vies, le bonheur doit être là. Sauf qu’on a oublié un truc basique : une fois qu’il est là, on ne sait pas trop quoi faire de ce bonheur.

Il y a cette réplique dans la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett. Y’a Vladimir qui dit à Estragon : « Dis qu’on est contents. Dis-le, même si ce n’est pas vrai. » L’autre s’exécute et ajoute : « Nous sommes contents. (un silence)… Et qu’est-ce qu’on fait, maintenant qu’on est contents ? »

Les étoiles et l’Inde

Les étoiles et l’Inde

C’était par une nuit claire, alors que l’on était allongé dans l’herbe. A l’automne dernier, pas très loin d’une rivière. On regardait le ciel sans réussir à retrouver les constellations qui dessinent des figures.

Non, on ne reconnaît pas le Verseau ou le Capricorne. Non, la seule chose dont on est sûr, c’est de localiser l’étoile du Berger que l’on repère à son intensité lumineuse, mais aussi, au fait que c’est la seule qui est dans l’axe de rotation de la terre, et donc, elle ne bouge pas dans le ciel. Vingt minutes plus tard, toutes les autres étoiles ont progressé. Celle du Berger est toujours là, au même endroit… mais on ne voit pas le Capricorne.

C’est à autre chose que l’on pense. On a lu ça, l’été dernier, et depuis ça nous obsède, parce que l’on n’arrive pas à le voir. Ce que l’on a sous les yeux est un schéma qui contracte l’espace et le temps. « C’est ce que l’on me dit, mais ce n’est pas ce que je vois ! Je ne vois pas d’espace et de temps différents ! » Car il s’agit bien d’un montage arbitraire, les étoiles n’étant pas sur le même plan.

Entre la plus proche étoile de la Grande Ourse et la plus éloignée, c’est une distance de 1 270 années-lumière. Et la question que l’on se pose, c’est qu’il pourrait en être de même de notre regard sur des pays lointains, des civilisations étrangères.

Comme l’Inde, par exemple. Sans jamais y avoir été. Sans peut-être jamais avoir l’occasion d’y aller. C’est au XVIIe siècle que la colonisation britannique a nommé les Indes, les comptoirs des Indes… et puis un jour, avec l’indépendance, on a regroupé tout ça. L’extrême diversité s’est retrouvée unique. L’Inde, « India ».

On se dit que c’est un sous-continent aussi varié que celui de toute l’Europe, allant des Himalaya jusqu’aux régions tropicales du Sud, avec plus de cinquante siècles d’histoire, de multiples invasions, plusieurs religions nées sur son sol, d’autres importées, plus de 1 600 langues, des origines ethniques mêlant toutes les couleurs. L’Inde, les Indiens, plus d’un milliard d’hommes et de femmes.

On devine un pays avec un esprit particulier, mais sans aucune cohérence. Important de conserver le pluriel, les pluriels. C’est toujours rassurant le regroupement visuel, cela facilite l’approche de la complexité.

Vingt minutes plus tard, l’étoile du Berger est toujours à sa place, par contre, on commence à voir le Capricorne… ou bien est-ce le Verseau.

Sans autorisation

Sans autorisation

La question revient toujours de la même façon. “Qu’est-ce que ça veut dire, d’acheter de la bière sans alcool, alors que l’on ne connaît plus l’ivresse depuis plus de trois ans et demi ?”

C’est souvent au moment de l’apéro, que la question se pose. Car, bien évidemment que l’apéro, c’est le moment où l’on sent monter un début d’ivresse encourageante. Comme un rituel. C’est ce que l’on recherche. Le goût du Pastis, du vin blanc frais ou du Spritz, c’est finalement secondaire.

Quand on boit de la bière sans alcool, bien sûr que le goût rappelle la bière sauf qu’après la première pinte, question ivresse, on ne sent rien, alors on se dit qu’en en buvant une deuxième ? Sauf que tout pareil et l’on est tenté par une troisième. Et rien ne vient, sinon de se sentir franchement ballonné par plus d’un litre de liquide avec bulles.

C’est finalement ça, le plus difficile. Non pas d’arrêter de boire, mais plutôt de ne pas (plus) attendre l’ivresse. Car pendant des années, on a recherché l’ivresse comme signal libérateur.

Combien de fois l’on s’est dit : “Non mais moi, tant que je n’ai pas bu deux ou trois verres, je ne peux pas vraiment parler, je ne peux pas vraiment danser, je ne peux pas vraiment aborder quelqu’un… même simplement m’approcher.”

L’alcool devient vite l’élément permettant de s’autoriser tout un tas de choses. Sauf que bien souvent, ça déborde, une fois l’autorisation acquise, on se dit que l’on peut en remettre une couche… et là, le dérapage est à portée de main. Un peu comme sur l’autoroute où tu te déportes de la file de droite à celle de gauche, et tu y restes en roulant de plus en plus vite.

C’est finalement ça, le plus difficile. De se dire qu’il n’y a plus besoin d’autorisation fournie par l’alcool. Qu’il faut se réapproprier une forme de liberté. Et que cette liberté acquise est particulièrement forte, puisqu’à chaque moment, on ne peut que le constater : cette discussion, cette conversation engagée, que tout ça est simplement lié à notre envie, qu’il n’y a pas eu de béquille ou de masque alcoolisée qui nous aurait aidés. Qu’il faut donc inventer une autre façon de vivre, puisque tout était balisé par des autorisations alcoolisées.

Virginie Despentes en parle très bien, elle qui a arrêté de boire à 28 ans. “Mais c’est très compliqué ! C’est pas ‘boire ou ne pas boire’. C’est un mode de vie qui est en jeu. Et un personnage, jusqu’alors défini par l’alcool, qu’il faut complètement réinventer.” Faire confiance à l’envie intérieure, et ne plus attendre d’autorisation. Au point que l’alcool disparaisse.

Un avion sur le ventre !

Un avion sur le ventre !

Ça s’est passé à New York, il y a dix ans, le 15 janvier 2009. Ce jour là, Janis Krums, un Américain de 23 ans, avait pris le ferry quand soudainement, devant lui, un Airbus A320 amerrit en urgence sur le fleuve Hudson, qui borde Manhattan à l’ouest.

Quelques minutes après avoir décollé de l’aéroport de LaGuardia dans le Qeens, l’avion du vol 1549 US Airways avait percuté des oiseaux qui avaient endommagé les réacteurs l’obligeant à se poser en catastrophe. Janis avait sous les yeux un truc incroyable qui ne s’était jamais produit. Aucun pilote de l’aviation civile n’avait réussi à faire « atterrir » un gros porteur sur un fleuve. Un exploit, 155 passagers sains et saufs. Tellement incroyable que Clint Eastwood en fera même un film avec Tom Hanks, « Sully », en 2016.

Et va savoir pourquoi, ce jour-là, Janis a eu un geste reflex qui n’était pas si courant à l’époque : sortir son iPhone, prendre une photo et… envoyer l’image accompagnée d’un commentaire de moins de 140 signes sur Twitter, qui n’a alors que deux ans et demi d’existence et ne compte qu’un bon million d’utilisateurs. « Il y a un avion sur l’Hudson. Je suis dans le ferry qui va récupérer les passagers. C’est dingue ! »

Oui, c’est dingue, mais ce que ne comprend pas Janis, c’est qu’à cet instant, quelque chose est en train de basculer, et ce quelque chose, c’est l’info quasi en direct. Car pour la première fois, un fait d’actualité ne sera pas rapporté par un média traditionnel, mais par un mec à bord d’un ferry qui vient de sortir son iPhone devant un avion posé sur l’eau.

Et rapidement, malgré le faible nombre d’abonnés, Janis sera repéré et interviewé sur plusieurs grandes chaînes d’info en continu. Et c’est l’aventure Twitter qui se propage comme une traînée de poudre.

« Soudain, le monde a commencé à nous prêter attention, parce qu’on était la source d’une info – et ce n’était pas nous –, c’était l’utilisateur sur le ferry, ce qui est encore plus incroyable ! » C’est Biz Stone, l’un des fondateurs de Twitter, qui le raconte. « Ce moment a tout changé. »

Et le monde découvrait le « citoyen journaliste », celui qui sort son smartphone plus vite que son ombre et qui tweete allègrement sur ce qui se passe dans la rue, là sous ses yeux.

Ce sont des millions d’informations « citoyennes » qui sont aujourd’hui postées au quotidien, au milieu d’insultes en cascade, de messages haineux et de campagnes de harcèlement… sans que l’on arrive nécessairement à discerner l’info, la vraie, de la fake news, la grosse intox qui se propage.

On a entendu reparlé de Janis Krums au moment de l’arrestation de DSK, en 2011. D’un complot sur Twitter… mais Janis a démenti. Non, il n’a rien à voir avec ça. Lui, ce qui le fascine ce sont les gros avions qui se posent sur le ventre et qui s’enfonce lentement dans l’eau.

Millions / Milliards

Millions / Milliards

On se dit que c’est le matin et que l’on est sans doute encore endormi de la nuit qui a été courte. 7 h 30, les infos à la radio…

On ouvre le frigo pour prendre de la confiture, ou… non, plutôt du beurre ce matin sur les tartines. Et déjà une cascade de chiffres qui tombent comme les corn-flakes dans le bol de lait. Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, est très clair (c’est fou, tous ces responsables politiques qui expliquent à longueur d’interview, qu’ils vont parler clairement, en toute transparence) : il faut lutter contre tous ces gens qui profitent du système, les chômeurs !

Oui, Monsieur, il faut le dire clairement, il faut un contrôle journalier. Oui, Monsieur, journalier. On ne peut plus se contenter d’un approximatif contrôle mensuel. Fini, le laxisme. Car les chiffres parlent d’eux-mêmes… la fraude aux allocations chômage, c’est 58 millions d’euros, l’an passé.

C’est énorme, insupportable, inacceptable. Et là, ce matin, alors que l’on a pris du beurre et pas de la confiture, on se dit que oui, sans doute, c’est beaucoup d’argent tout ça. Oui, trop !

Et puis, encore des chiffres. Cette fois ci, ce sont les paradis fiscaux, le blanchiment illégal des bénéfices d’entreprise. La fraude fiscale. Sur une année en France, c’est 80 milliards d'euros.

Oui bien sûr, là aussi, c’est beaucoup. Ça paraît même plus… Sauf que ce matin, on n’est pas sûr, on a du mal à juger de combien un milliard est plus grand qu’un million. Millions d’euros Milliards d’euros/, des chiffres avec des zéros, des sommes que très peu de personnes sur cette planète arrivent à évaluer avec justesse.

Alors plutôt que de parler d’argent et de très grosses sommes, on va convertir tout ça, en secondes et en temps. C’est plus simple, le temps à l’échelle humaine.

1 million de secondes, c’est un peu plus de 11 jours.
1 milliard de secondes, c’est quasi 32 années.

Et là, immédiatement, on se dit que ce n’est pas qu’une histoire de zéro, que la fraude aux allocations chômage, cela n’a rien à voir avec le gouffre de la fraude fiscale. Et que s’il y a un effort à faire pour récupérer de l’argent, c’est du côté des paradis fiscaux qu’il faut aller voir, plutôt qu’à la sortie de Pôle Emploi.

On a bien fait de prendre du beurre ce matin, la confiture de mirabelles paraissait trop sucrée.

La douceur de la plage…

La douceur de la plage…

Le week-end, on arrive à la plage. Cela fait maintenant des années que l’on a plaisir à poser notre serviette sur le sable de Trouville. Pas très loin de la maison où Marguerite Duras venait écrire.

On enlève pantalon et chemise et en trente secondes, on est dans l’eau. On a laissé argent, clef, portable sous la serviette ou au fond des chaussures. L’eau est fraîche pour la Normandie. Et là, on se retourne vers l’étendue de sable et l’on se dit que la plage a une vertu incroyable. Dans un parc ou un jardin public, ça ne viendrait à l’idée de personne de laisser ses affaires sans avoir les yeux dessus.

Un exemple. Tu pique-niques au parc de la Villette, et tu te te dis qu’une petite bière te ferait le plus grand bien. Et là, à 100 mètres, il y a un kiosque qui en vend. Bien évidemment que tu vas tout emporter. Tu ne vas pas laisser ton portable ou tes clefs.

Sur la plage, tu pars vingt minutes, décontracté, sans inquiétude aucune. La plage, c’est comme passer une frontière, la frontière de la non agression, la frontière de la coolitude. C’est comme si tous les dangers, les agressions de la ville, tu les laissais à la limite de la plage, là où tu remets tes chaussures.

Peut-être aussi le sentiment que l’on est tous pareils, et qu’il n’y a rien à craindre des voisins de plage qui sont bienveillants. On est entre soi, on n’écoute pas les conversations, mais on regarde ce que lisent les gens, les accessoires de plage, les détails… et donc on se dit : “Mes affaires ne craignent rien !” Et puis, il y a suffisamment de monde pour considérer qu’il y a toujours quelqu’un pour jeter un œil. Pas même besoin de le demander.

Cela fait plus de vingt ans que l’on vient… Les seuls vols constatés, c’est, par exemple, un gamin de 8 ans qui prend le ballon d’un autre et qui l’embarque sans même s’en apercevoir.

La solution apaisante, c’est d’arriver sur la plage avec rien, ou juste quelques euros pour s’acheter une glace. Sans papiers, sans montre, sans portable, sans carte de crédit… Rien, oui, ça existe encore. Un maillot, une serviette…

Car ce qui est troublant sur la plage, c’est la douceur d’être dans un monde apparemment sans argent, où il n’y a quasi rien à acheter. Un miracle qui tiendrait du simulacre balnéaire, qui ne serait pas économique… C’est tellement loin de la start-up nation ! À part peut-être, là, un vendeur de chouchous ou de beignets au Nutella qui arrive avec sa clochette.

Chaussette orpheline

Chaussette orpheline

C’est sans doute un des grands mystères de l’époque contemporaine. Dans tous les pays où les gens sont chaussés et utilisent un lave-linge, on constate le même phénomène : le syndrome de la chaussette orpheline.

Semaine après semaine, ce syndrome désigné en anglais par Missing Sock Disorder Syndrome prend racine. Un dimanche matin, on ouvre la machine, et on ne peut que subir le manque. L’inexplicable : “Putain, mais c’est pas possible ! C’est quoi, cette chaussette toute seule au milieu du linge ? Je ne retrouve pas la deuxième !” Et c’est partout comme ça dans le monde.

Évidemment, des statisticiens se sont penchés sur la question. Et ce sont plus de quinze chaussettes qui disparaissent en moyenne par an et par famille. Rapporté sur une vie entière, ça fait quand même pas loin de mille chaussettes qui se volatilisent dans la nature.

Alors bien sûr qu’il faut en revenir à des trucs simples. Les chaussettes, quand on lance une lessive, c’est souvent ce qu’il y a de plus petit. On fait en moyenne deux ou trois lessives par semaine, ce qui en fait 130 par an.

Le risque de perte est réel, une chaussette toutes les dix lessives, on est dans les quotas supportables. OK pour la perte. Mais ce que personne n’accepte, c’est de ne pas savoir où passent les chaussettes.

Certains pervers ont imaginé que la chaussette pouvait se cacher dans le joint du hublot de la machine. Mais quand il n’y a pas de hublot ? On évoque alors des trous noirs, des triangles d’abîme, voire des univers parallèles où la chaussette tomberait entre les mains d’un chamane toungouse aux pratiques douteuses.

Il y a la chaussette bleue, chutant par mégarde derrière le radiateur. On n’avait plus de place sur le séchoir… mauvaise idée, chaussette perdue. Et puis, la chaussette blanche qui se retrouve enrôlée, à notre insu, dans une machine de couleurs foncées et qui devient gris-noir, séparée à jamais de l’autre. Il y a aussi la chaussette étendue à l’extérieur, sur un fil au fond du jardin et qui prise dans un coup de vent, va finir sa vie dans un fourré d’épines.

La solution la plus simple, c’est d’acheter exactement les mêmes chaussettes toutes grises, par paquet de 10… L’autre dimanche, on parlait de ce syndrome avec notre voisin qui court régulièrement près du canal Saint-Martin. “Moi, avec les chaussettes orphelines, je coupe le bout, je les retourne et je me fais des brassards pour mettre mon smartphone. C’est super pratique pour le footing et ça me permet d’écouter ma playlist.”

À l’Apple Store, le brassard pour iPhone X est à 39,95 €. On a demandé, ils n’ont pas de chaussettes ! Sûr que chez Apple, ils auraient résolu l’énigme du syndrome de la chaussette orpheline.

Tout près du bleu

Tout près du bleu

“On est vraiment obligé de venir ?” À chaque fois, c’est la même histoire. Le week-end arrive et l’on se dit qu’il y a des dizaines d’expos en tous genres, et que c’est l’occasion de les découvrir avec les enfants.

Sauf que les enfants, le samedi, ça ne les tente guère de faire un tour des galeries d’art contemporain dans le Marais. “OK, alors on va à Beaubourg voir la collection permanente.” Gros soupir !

Tant que l’on est dans l’escalator extérieur tout va bien, on surplombe Paris, on repère les bâtiments. L’Opéra, le Sacré-Cœur, au loin le quartier de la Défense. Et puis on rentre dans les premières salles. Le cubisme, Dada, ça traîne la jambe. Gros silence.

Il faudra attendre les œuvres des années 1960 pour qu’Ulysse s’adresse à nous, les yeux au ciel. “Et tu peux me dire à quoi ça sert de faire des tableaux tout bleus ?” On est devant un grand format monochrome d’Yves Klein. Bleu, oui. Tout bleu. Rien que du bleu lumineux.

Alors bien sûr qu’on pourrait parler de l’époque, la publicité, Warhol, le pop art aux États-Unis, et puis en Europe, la publicité aussi, la société de consommation, les Nouveaux réalistes, les accumulations d’Arman, et donc Yves Klein et ses monochromes.

Mais l’on sent bien qu’on va les souler, les enfants. On sent bien que l’on essaye de se convaincre, de se rassurer en donnant du rationnel, du monsieur Télérama-qui- sait-tout. On va faire simple.

“Moi, ce que j’aime, c’est m’approcher… Tu vois, la toile est assez grande, suffisamment même pour que je puisse m’approcher et ne voir que du bleu, rien que du bleu. Et puis, si tu regardes bien, le pigment de bleu, il est tellement dense que mon œil, il ne s’arrête pas à la surface de la toile. Mon œil, il rentre dans le bleu.”

“Voilà, c’est tout, t’as remarqué, par rapport aux autres tableaux, celui-ci, il semble calme… comme si la couleur était silencieuse.”

“Un tableau de Klein, c’est à la fois de la peinture et autre chose. C’est du pigment dense et lumineux, et quelque chose que je ne peux pas attraper… Mon oeil et mon cerveau sont perdus. Ce n’est pas une image, c’est plutôt comme un souffle. En gros, il se passe quelque chose.”

Et là, Ulysse s’approche de la surface bleue. Il se retourne. “Moi, je crois que ce qui se passe, c’est que tout est bleu, et ça me plaît bien que tout est bleu !”

L’anémomélancolie

L’anémomélancolie

C’était à deux jours de l’armistice. Le 9 novembre 1918 mourait Guillaume Apollinaire. Le grand écrivain, l’immense poète.

On a tous “récité”, enfant, “Le pont Mirabeau”, la Seine qui coule, vienne la nuit sonne l’heure. Et puis les “Calligrammes”. “Bon, les enfants, on va faire comme Guillaume Apollinaire, on va écrire un poème et puis après, on fera un dessin avec les lettres… pareil que lui, “Il pleut”… et les phrases qui tombent comme la pluie.”

Nous, ce qui nous a toujours fascinés, c’est la résonnance des mots chez Apollinaire, le rebond, les associations. Le temps suspendu, lancinant et la douce musique de la mélancolie qui s’installe, simplement par le rythme et les sonorités. “Clotilde”, par exemple, écrit en 1913, et qui fait parti du recueil “Alcools”. C’est très court.

L’anémone et l’ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l’amour et le dédain

Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaîtra

Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux

Deux fleurs, l’anémone et l’ancolie. Et dés les premiers mots, on est embarqué dans une mise en résonance, et ça produit autre chose… on sent déjà que anémone et ancolie, sans avoir besoin de le préciser, appellent la mélancolie. L’anémomélancolie.

Et puis l’ombre, impalpable. Sombre. Et puis le poète se ressaisit : “Laisse ce jardin, passe, cette Clothilde a une ombre, belle, mais elle a aussi un corps…” Et là s’éloigne la mélancolie. Apparaît l’émerveillement et le charnel.

Ce sont peut-être ces mots-là qui nous font du bien, ce matin. C’est simple, ça se retient facilement, et cette petite gymnastique d’association de mots, c’est du plaisir à l’état pur. Commencer la journée avec de belles choses.

Il y a cent ans disparaissait un immense poète. Comment se fait-il que notre époque ne laisse plus de place aux poètes ?

Le partage du gâteau

Le partage du gâteau

On n’y arrive pas. Qu’on prenne le problème par n’importe quel bout, on n’arrive pas à faire prendre conscience aux gens de l’urgence environnementale…

Les climatologues, les spécialistes nous répètent : “Nous voyons ce qui va se produire, c’est ça qui est frustrant car nous avons sous les yeux, jour après jour, l’évolution de la catastrophe… et quoi qu’on fasse, rien, rien ne se passe.”

Certains ajoutent même : “C’est épuisant, stressant, déprimant ! Après une période d’espoir, nous n’y croyons plus… Nous ne croyons plus au fait qu’on va arriver à déclencher une réaction pour lutter contre le réchauffement climatique et à éviter ce que l’on a prédit. La démission de Nicolas Hulot a été comme un coup de massue. Et pourtant, on n’a pas le choix, il faut y croire !”

On n’y arrive pas, parce que l’on n’arrive pas à détourner l’attention des gens de la priorité du quotidien. Payer son loyer, régler la cantine des enfants, rembourser ses crédits… Le réchauffement climatique passe après tout ça. L’urgence pour beaucoup, c’est de ne pas tomber, de ne pas se retrouver à la rue. “Hé ! les mecs, puisqu’on vous le dit… continuer à acheter votre grosse voiture, on trouvera des solutions, c’est garanti. On y travaille, on trouvera des solutions ! On va l’aspirer tout le CO2, on va le construire, le gros aspirateur, soyez pas inquiets !”

Ça fait trente ans que l’on tient le même discours… et pas de mesure, pas d’action. On n’y arrive pas… On se souvient de Jacques Chirac au sommet de la Terre, à Johannesbourg, en 2002 qui avait eu cette formule qui avait frappé les esprits : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”.

Sauf qu’aujourd’hui, l’urgence n’est plus la même : pour des millions de personnes qui n’ont même plus de maison, il s’agit d’abord de sauver sa peau. Ce sont les migrants qui traversent la Méditerranée, alors qu’on les avertit qu’ils ont de très grandes chances de mourir en mer.

Les gens n’ont pas le choix. Leur vision n’est pas pour les vingt ans à venir, mais pour demain, la semaine prochaine. Survivre coûte que coûte. Les inégalités sont aujourd’hui bien trop fortes (elles n’ont jamais été aussi fortes), pour que les gens pensent à autre chose.

C’était en 1984, et l’abbé Pierre tenait un discours au Palais des Congrès de Paris : “Le contraire de la misère, ce n’est pas la richesse, non. Le contraire de la misère… c’est le partage !” On n’a pas le choix. Il va bien falloir partager.

"Google Du Petze !"

"Google Du Petze !"

Au printemps, Google n’a pas vu venir l’hostilité des habitants du quartier de Kreuzberg, manifestant pour empêcher son implantation à Berlin.

Le géant californien souhaitait ouvrir un vaste campus : 3 000 m2 de bureaux, des cafés sympas et des espaces de coworking où tu bosses, cool, en short et détendu. Distribution de snacks à volonté, massages et pauses billard. L’esprit Google, quoi !

« Que cette méga-corporation, dont le modèle économique est basé sur la surveillance de masse et qui spécule à tout va, débarque ici, alors que la gentrification s’accélère et que des tas de gens sont en train de se faire virer, est d’une arrogance et d’une violence extrême », réagissait l’un des organisateurs de la campagne “Fuck off Google”.

Et puis d’autres slogans sont apparus sur les murs. “Google Du Petze !” (Google informateur). Des slogans rappelant l’Allemagne communiste. Alors Google s’est déplacé du côté Est de Berlin. Là où un élu local a cordialement invité le géant de Mountain View à s’intéresser à l’ancien siège historique de la Stasi, sur Ruschestraße dans le quartier de Lichtenberg.

La Stasi, c’est l’ancien monde communiste de la RDA, lunettes noires et imper gris. C’est pas un des nombreux clubs techno branchés comme le Berghain ou le Tresor, qui sont de véritables institutions de la nuit berlinoise. Dès 1950 et durant toute la guerre froide, la Stasi a été la police politique de l’Allemagne de l’Est qui a surveillé et réprimé toute la population. Des fiches, des écoutes sur tout le monde, 500 000 informateurs. Tout était recensé au point que le bâtiment abritait plus de 160 kilomètres d’étagères pour stocker les documents recueillis sur 16 millions d’allemands. Du grand délire sécuritaire à la Big Brother. Et là, on se dit, il y a comme un truc qui résonne… Google ? La Stasi ?

On a entendu dire qu’aujourd’hui, on avait la possibilité de télécharger l’intégralité des données que Google accumule sur chacun d’entre nous. Sympa, Google… “Tu lances Google Takout. Et là, tu télécharges un fichier de plus de 5 Go qui contient plus ou moins trois millions de documents Word ! Tout ce que Google a siphonné sur toi. Tout ! Tous tes favoris, tous tes mails, tous tes contacts, tous tes documents Google Drive, tout ton historique de recherche Google et Youtube, tous tes déplacements (eh oui, comme tu es géolocalisé, tes déplacements sont archivés, l’heure, la date, les itinéraires). C’est la séquence de toutes tes journées qui est disséquée, les téléphones, les appels... la liste n’en finit pas. C’est juste totalement effrayant !”

Après la chute du mur de Berlin en 1989, la Stasi fut dissoute. Et le monde a découvert avec stupéfaction la puissance nocive de cette organisation de surveillance.

Trente ans plus tard, Google prend la relève en mettant la barre beaucoup plus haut. Il monétise les big data aspirées. Plus besoin d’informateurs, les étagères berlinoises resteront vides… chacun de nous, au quotidien, nourrissant le monstre qui nous dévorera !

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