Roth, pas lu !
Plus de deux semaines après sa mort, Philip Roth est encore très présent dans les médias. Un hors série du “Monde”, qui le jour de sa disparition avait titré “Mort d’un géant”. “Le Un” qui consacre un numéro spécial. Mais il faut bien l’avouer : on n’a jamais rien lu de cet auteur américain, considéré comme l’un des monuments de la littérature contemporaine.
“Bon, donc on fait quoi quand on n’a rien lu de Roth ?” Oui, on passe pour une buse… et on fait profil bas, en mesurant l’abîme d’avoir fait l’impasse sur une légende vivante. Car lorsqu’on est cultivé, la question ne se pose même pas. Sauf que l’on ne vient pas de ce milieu, où la culture prend beaucoup de place… On vient d’un milieu, où il n’y avait pas de livres. Les livres sont venus plus tard.
On a commencé à lire, avec en tête cette blague de gosse : “Tu fais comment pour manger un éléphant ? Eh bien, tu le manges morceau par morceau.” Donc on lit tranquillement, livre après livre… sans se soucier de savoir si au bout du compte on aura lu tous les auteurs incontournables.
“Mais on doit obligatoirement parler d’un livre qu’on a lu… ou pas lu ?” Alors ça se fait, ça se fait même beaucoup… on lit aussi pour ça. Pour parler de ce que l’on a lu ! On lit pour poser des repères. Comme sur un plateau de jeu, on place ses références. Flaubert, Céline, Balzac, Hemingway… un peu comme une carte de visite ou un CV. L’intérêt des repères, c’est que tu passes facilement d’un auteur à l’autre, sans laisser de prise à la personne avec qui tu discutes.
Important, le contournement ! Car lorsqu’on n’a pas lu un livre, la personne avec laquelle on parle… ne l’a peut-être pas lu non plus ! Et c’est là où tu chausses des skis pour gentiment glisser vers Houellebecq ou Despentes que tu connais mieux.
Une star littéraire qui meurt, c’est des milliers de gens qui rentrent dans une librairie pour acheter ses romans.
— Il vous reste des livres de Philip Roth ?
— Non, désolé, mais là, depuis ce matin, depuis l’annonce de sa mort, c’est incroyable, j’ai tout vendu !
Donc, le mec, il est mort, et là on se dit, impatient : “Il faut que je lise aujourd’hui un de ses bouquins”, alors que la veille on n’y aurait même pas pensé. Et de redescendre sur Terre : “Hé mec, c’est Philip Roth qui est mort, c’est pas ses bouquins qu’on a détruits. Reste cool, continue comme avant, lis tranquillement les auteurs que tu aimes. Personne ne t’en voudra, si t’as pas lu Roth.”
Mais là, depuis quelques jours, on le sent bien Philip Roth, on va commencer par une nouvelle de “Goodbye, Columbus” : une jeune fille juive qui perd son stérilet dans une piscine publique.