[javascript protected email address] 01 82 73 14 81
56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris
[javascript protected email address] 01 82 73 14 81 56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris

Pass manga

En général, le samedi, ça ne désemplit pas de la journée. La Rubrique à Bulles est une librairie parisienne de bande dessinée où, depuis un an, il faut souvent patienter sur le trottoir avant de pouvoir entrer, consignes sanitaires obligent. Mais la semaine dernière, on a découvert une multitude de cartons, des dizaines, soigneusement empilés devant la devanture.

Alors, on a discuté avec le vendeur. « C’est de la folie ! Depuis fin mai, on n’a jamais vu ça ! Des jeunes arrivent à la boutique avec des sacs à dos pour venir chercher tous les livres qu’ils ont commandés. Tenez, le dernier en a acheté pour 168  €. »

Regard dubitatif qui trahit notre incompréhension. « Mais enfin, vous avez bien entendu parler du pass Culture mis en place par le gouvernement ? Le ministère leur a dit : “Hé les jeunes, vous pouvez acheter des livres à volonté !” Alors, ils achètent des mangas par cartons entiers. Sur les réseaux sociaux, c’est la grande éclate… pouvoir poster une photo dans sa chambre avec une pile de mangas. C’est à celui qui aura la plus haute. Le pass Culture, c’est devenu le pass Manga. »

Quand le gouvernement a testé la formule dans une dizaine de départements, tout le monde a bien remarqué l’engouement pour la BD japonaise, mais personne n’avait anticipé. La crainte, c’était le numérique et les jeux vidéo. Le pass limite donc à 100 € la possibilité d’acheter des jeux. « Oui, bien sûr, cela va les forcer à regarder la programmation des cinémas, des théâtres et pourquoi pas de l’opéra. Mais personne n’a vu arriver la déferlante manga. »

À croire que les politiques vivent sur une autre planète… « Le jeune qui n’a pas accès à la culture et qui va aller voir Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille, vous y croyez, vous ? »

On savait depuis quarante ans que les mangas étaient particulièrement appréciés en France : l’effet Club Dorothée des années 1980 et l’animation japonaise, Goldorak, Albator, Ulysse 31… Il suffit de jeter un œil aux classements des meilleures ventes de livres pour constater que les BD nippones sont toujours très bien placées.

Les médias en parlent peu, mais posez la question à un ado, la liste des incontournables est longue : One Piece, de loin le plus vendu, Dragon Ball, My Hero Academia, Naruto & Boruto, SNK (L’Attaque des Titans), Stone Ocean, Death Note, Kingdom, Bleach, Demon Slayer… et le succès du moment, le phénomène The Promised Neverland.

Depuis quelques semaines, c’est une grande vague d’Hokusai qui s’abat sur les librairies de BD. Au point qu’elles n’ont plus de stock. « Aujourd’hui, je passe plus de temps à réceptionner et à vider des cartons qu’à faire mon métier de libraire. J’ai juste l’impression d’être devenu grossiste dans une plateforme numérique ! »