
Pauses by Noise
Retrouvez-nous, un jeudi sur deux, pour une Pause by Noise.

Encore Uber
C’est quand même la classe de voir arriver au bout de la rue, une élégante berline noire. La voiture s’arrête lentement et le chauffeur descend pour vous ouvrir la portière arrière. « Bonjour Monsieur, bonjour Madame bienvenue chez Uber… si vous le souhaitez, vous avez une bouteille d’eau devant vous. » La classe.
Évidemment, on est étonné la première fois, tellement on a été mal traité, mal accueilli dans les taxis parisiens. La fenêtre ouverte alors qu’il fait froid, “Les Grosses têtes” et leurs blagues pas forcément à notre goût.
Quand vous montez dans un Uber, c’est comme quand vous rentrez dans la boutique Nespresso à Opéra, ou le flagship Louis Vuitton sur les Champs-Elysées… sitôt passé la porte, vous êtes quelqu’un d’important à qui on parle avec douceur et attention. C’est comme cela que l’on vous voit et cela fait un bien fou.
Alors oui, la première fois chez Uber, on est scotché. Genre L’Oréal « Parce que je le vaux bien ! » Quand même… « Avez-vous une station de radio préférée ? »
La première fois, on se sent effectivement quelqu’un d’important. La deuxième fois, comment dire… on revoit la même voiture ou presque, le même chauffeur, du moins habillé pareil, et le même « Bonjour Monsieur, Madame, bienvenue chez Uber… ».
Et là, on se dit que ce qui était bluffant la première fois, l’est beaucoup moins les fois suivantes. Que ce que l’on avait pris pour de l’attention personnalisée n’est finalement qu’une suite d’éléments de langage standardisés. Et ça en devient même désagréable, de distance et de faux-semblant.
« On ne s’adresse pas à moi, on s’adresse à un client lambda qui a été défini par le marketing de Uber. » Et l’on en vient à regretter le chauffeur de taxi caractériel qui vous déstabilise par ses questions indiscrètes ou ses commentaires déplacés.
C’est peut-être les limites du décor Uber, de sentir que malgré les apparences du luxe, vous n’avez accès, qu’à une forme édulcorée qui se résume à la couleur d’une voiture, une veste Armani et une bouteille d’eau fraîche.
Mais ça marche, car à chaque fois le « Bonjour Monsieur, bienvenue chez Uber… » agit comme un baume bienveillant.

Des pare-brise propres
C’est en s’arrêtant l’été dernier sur une aire d’autoroute, que l’on avait remarqué ce détail. On avait roulé durant plus de quatre heures et on allait faire une pause pour le carburant.
– Et tu veux que je te passe un coup sur le pare-brise ?
– Non, non, c’est bon, il n’est pas sale… Par contre, je boirais bien un soda, il fait une de ces chaleurs !
Et de regarder le pare-brise en attendant le rafraîchissement. Les moustiques décédant par tombereaux entiers, les sauterelles bien nourries qui laissaient un jus verdâtre sur la carrosserie, les gros hannetons qui nous faisaient sursauter à chaque fois qu’il y en avait un qui frappait la vitre. Même que l’on croyait que c’était des impacts de pierre… Toutes ces bestioles qui salopaient gentiment la bagnole, c’en est fini.
Il n’y a plus d’insectes écrasés sur la vitre des voitures comme c’était le cas, il y a encore vingt ans. Alors, on s’était dit que peut-être que les insectes étaient plus rapides aujourd’hui qu’avant, pour éviter les voitures. Ou encore que les voitures sont aujourd’hui mieux profilées, plus aérodynamiques, qu’elles se glissent dans l’air sans qu’un insecte arrive à toucher la tôle.
En fait, non… c’est que des insectes, il n’y en a pratiquement plus. Les voitures sortent du péage après six heures d’autoroute comme du Car Wash. Plus une trace de diptères, de lépidoptères ou autres coléoptères sur les carrosseries. Études scientifiques à l’appui, en Europe, 75 à 80 % des insectes ont disparu depuis trente ans. Aux États-Unis, pour la seule année 2016, c’est 30 % des abeilles qui sont mortes. Des chiffres qui surpassent de loin celui du déclin des vertébrés, estimé à seulement 58 % depuis les années 1970.
Mais qu’est-ce qui se passe et quelle est la cause de ce massacre en règle ? Les entomologistes restent prudents. On n’est pas sûr mais… comment dire, on pense vraiment que c’est dû à l’intensification des pratiques agricoles et au recours aux pesticides. Pour une fois qu’on n’explique pas une hécatombe par le réchauffement climatique qui devrait plutôt encourager la prolifération des insectes, et non leur diminution.
Par contre, ce qu’on redoute, c’est l’effet en cascade, l’effet domino. Les insectes jouent un rôle majeur dans la pollinisation de 80 % des plantes sauvages, sans parler des oiseaux qui se retrouvent avec moins à manger. Le gros problème, c’est que l’on se sent tous concernés par les abeilles et le miel sur les tartines. Et beaucoup moins par toutes les petites bestioles à six pattes qui ne salissent plus nos voitures.

De la neige dans les yaourts ?
JO d’hiver 2018 à Pyeongchang, en Corée du Sud et tout le monde constate que les tribunes sont désespérément vides devant la descente hommes qui est normalement la discipline reine des Jeux olympiques d’hiver.
“Il n’y a personne, c’est vraiment ridicule... Entre le ski alpin et les Coréens, l’incompréhension est presque totale”, juge le journal L’Équipe. Faut dire que les tarifs sont exorbitants (400 € la place pour la finale dames de short track), qu’il fait très froid, jusqu’à - 20°C pour certaines épreuves. Mais alors, ils sont où les Coréens, s’ils ne sont pas au bord des pistes ?
Et là, on tombe sur le “mukbang”. Rien à voir avec une nouvelle discipline olympique. Pas besoin de se geler sur les sommets enneigés, il suffit de se caler devant son écran d’ordinateur pour regarder une vidéo. On y découvre une jeune fille, qui aligne une quarantaine de pots de yaourt devant elle. Elle ouvre le premier et enchaîne les coups de cuillère à un rythme régulier, tout en dialoguant avec des internautes curieux d’en savoir plus sur elle. Au bout d’une demi-heure, la fille se lève, disparaît quelques instants et revient avec trente nouveaux pots de yaourt, qu’elle va ingurgiter avec la même régularité.
Depuis plus de trois ans, le “mukbang” (“manger en ligne” en coréen) explose sur les écrans internet en Corée du Sud. Les “mangeurs” (plus de 15 000 individus) commencent généralement à se filmer, parce qu’ils se sentent seuls. Et de l’autre côté, les “voyeurs” (plus de 500 000 par jour) se sentent un peu moins seuls. Ils ont l’impression de dîner “en famille”, en suivant presque religieusement Shoogi, 20 ans, par exemple, qui se bâfre de poulet frit puis engouffre deux plats énormes de tteokbokki, des gâteaux de riz baignant dans de la sauce épicée. Résultat, banco ! Plus d’un million de vues sur YouTube. Certains “mangeurs” en font un véritable business, via les dons des spectateurs ou le recours à des sponsors.
Autre vedette du moment, un vrai champion élevé au grain, c’est Benzz qui affiche plus de 150 millions de vues avec près de 500 000 abonnés. C’est tous les jours que l’athlétique jeune homme publie une vidéo, où on le voit se goinfrer avec une montagne de gâteaux à la crème, accompagnés de plusieurs briques de lait. “À chacun son talent ! Moi, j’ai une excellente digestion. Je peux manger énormément sans problème !”
Dans une société ultra-compétitive où le stress est partout, les Coréens sont en permanence sous tension. Le devoir de réussite et l’obsession de l’excellence, la peur de l’échec, la frustration… tout le monde est au bord du pétage de plombs. Pour eux, suivre les JO, c’est retomber dans la performance et la compétition. Alors que de regarder des vidéos de “mukbang”, c’est carrément de la méditation, de l’anti-stress en crème pâtissière. Du divertissement quotidien en blancs de poulet frit. “À la place de l’épreuve de saut à ski, le jeune Patoo, 16 ans, lui, ça fait trois jours qu’il s’empiffre de nouilles avec du bœuf au soja, j’adore ça !”

Cheveux au vent !
C’est un geste anodin, mais qui raconte beaucoup.
C’est Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes qui l’a confié entre deux interventions gouvernementales : “Je m’attache aujourd’hui les cheveux pour qu’on écoute ce que je dis.” Oui, c’est vrai que l’on commente beaucoup les cheveux de Marlène Schiappa. Comme s’il était difficile d’être attentif aux paroles d’une femme politique, sans être troublé par son apparence.
Et l’on repense à toutes les femmes ministres. Depuis des années, depuis toujours, toutes ont porté les cheveux courts ou les cheveux attachés, à l’image de Simone Veil. “Il y a un livre à écrire sur les cheveux en politique”, poursuit Marlène Schiappa.
L’image la montrant cheveux au vent sur le perron de Matignon, c’est terminé. Elle a vite compris que ça ne passait pas. On fustige l’Iran et le voile imposé aux femmes, mais on ne supporte pas une femme politique qui se passe la main dans sa chevelure. Alors bien sûr qu’on ne lui demande pas frontalement de mettre de l’ordre dans sa coiffure, mais la femme politique comprend vite que ses mots porteront davantage, dès lors qu’elle aura les cheveux attachés.
Marlène Schiappa a aussi renoncé aux bracelets. Le vernis rouge, sur ses ongles, elle ne l’a pas enlevé. Elle en a juste un peu marre que l’on parle de son look et pas de son action ni de ses engagements. Un aveu d’impuissance face à une société qui ne peut pas s’empêcher de stigmatiser les signes extérieurs de féminité chez les politiques…
Juillet 2012, à l’Assemblée nationale. Une robe trop fleurie provoque le trouble des députés mâles. Et l’on entend des caquètements, des gloussements, des sifflets, des bruits de poule… quand Cécile Duflot, alors ministre du Logement, s’apprête à prendre la parole.
Les cheveux au vent, la robe fleurie. Et Marlène Schiappa de revenir sur un autre détail. La “mauvaise habitude” de désigner les femmes politiques simplement par leur prénom. Un exemple de sexisme gentiment ordinaire. Un ministre répond à un journaliste, il parle de Castaner, de Bruno Lemaire… et de Marlène… la bonne copine, qui a juste un prénom. Tellement sympa, Marlène !

Balance ton porc
Suite à la déferlante Weinstein/#balancetonporc, on se retrouve un vendredi devant une classe entière en Arts Appliqués, une classe à forte dominante féminine. Des étudiant(e)s qui ont entre 19 et 22 ans et qui se destinent au métier de graphiste. On avait prévu de parler des portraits du Fayoum et puis au dernier moment, on préfère commencer par la couverture de « Libé » du mardi 17 octobre : « Porcs sur le gril. »
« Vous avez des remarques par rapport à ça ? » C’est trois filles qui interviennent directement. « Évidemment qu’on a des remarques, qu’est-ce que vous imaginez ! » On se dit que c’est le moment de laisser la parole circuler… « Non, mais je crois que vous ne vous rendez pas compte, pas compte du tout ! C’est tous les jours qu’on nous emmerde, pas forcément des gestes déplacés, ou des Mademoiselles qu’on en a ras-le-bol, mais simplement des regards, comme si j’étais une chose à consommer. »
En quelques minutes, on découvre le point de vue de filles de 20 ans auquel on n’a jamais accès quand on est un homme. Et pour le coup, les garçons de la classe ouvrent de grands yeux. « Non mais monsieur, c’est très médiatique tout ça, Weinstein et les autres, c’est pour l’audimat…» C’est un garçon qui vient de réagir, et aussitôt Alice intervient. « Mais putain, Bruno, tu peux pas comprendre, tu ne ressens pas ce qu’on vit. C’est pire que ce qu’on dit, c’est pas que sexuel, c’est un truc de domination, de pouvoir, on le sent clairement dans le regard. Moi, je réfléchis le matin quand je m’habille, je réfléchis en me disant j’ai pas envie qu’on m’emmerde, tu réfléchis, toi Florian, le matin quant tu t’habilles, tu t’interdis des trucs ? ». Et là, Kevin : « Faut dire quand même, t’as des filles, faut voir comme elles sont habillés sexy, c’est limite provoquant, non ? »
C’est plus de quinze filles qui interviennent aujourd’hui, alors que d’habitude, en demi-groupe elles sont beaucoup plus discrètes. « Et puis marre de toutes ces images dans la rue où on nous montre toujours des filles à poil pour vendre tout et n’importe quoi. Comment tu veux que les mecs aient pas cette image en tête, qu’une femme, c’est un objet que l’on consomme quand on voit tout ça ! »
Et Alice, de reprendre la parole. « Moi, c’est pas la nudité, finalement j’ai rien contre, ce qui me saoule, c’est les poses suggestives, toutes les pubs nous montrent des meufs en train de séduire, comme si on était réduites à ça… séduire des mecs. » On intervient sans trop vouloir casser la vague de parole. « Et ça, on le change comment ? »
« C’est un truc d’éducation, faut le dire et le redire, une femme ça se respecte, on va pas mettre une burqa parce que les mecs arrivent pas à se maîtriser. » « Moi, je crois qu’il faut renvoyer le regard, et là, tu verras que les mecs ils seront moins à l’aise. »

"Fire and Fury" Saison 5
« Le leader nord-coréen Kim Jong-un vient d’affirmer que le “bouton nucléaire est sur son bureau en permanence’’ […] Informez-le que, moi aussi, j’ai un bouton nucléaire, mais il est beaucoup plus gros et plus puissant que le sien, et il fonctionne ! »
Ça, c’est le 2 janvier dernier, et c’est le tweet que Donald Trump a envoyé en guise de bonne année, histoire de bien pourrir le fragile réchauffement amorcé par Pyongyang et Séoul pour les J.O. d’hiver en Corée du Sud. « Donald Tweet », on ne sait plus très bien comment appeler le président de la première puissance mondiale, a compris un truc simple, qui lui a permis de remporter l’élection présidentielle. La force de l’émotion balaye tout sur son passage. Trump a compris qu’avec 140 caractères, il pouvait entraîner la planète derrière lui. Et devenir l’axe central autour duquel le monde tourne. Il électrise, sidère, allume des incendies aux quatre coins du monde.
En ce début d’année, un livre retraçant sa première année de présidence vient de sortir aux Etats-Unis, « Fire and Fury ». Le feu et la fureur, c’est exactement ça. Le feu qui ravage tout. Un problème avec le Pakistan ? A quoi bon passer par l’ambassadeur américain ! En un tweet envoyé le matin du Nouvel An, Trump sabote tout le travail diplomatique engagé depuis de nombreuses années. Stupeur et incompréhension. Car au final, Trump ne tweete pas pour le Pakistan, il tweete comme s’il était toujours en campagne électorale et qu’il fallait en permanence retourner le projecteur sur lui.
On semble l’oublier, mais Donald Trump a eu plusieurs vies, comme les différentes saisons d’une série Netflix. Saison 1: les années 1980, l’ascension, les années fric. Saison 2 : l’empire immobilier, les mondanités, le businessman de dessin animé, vulgaire mais pas méchant… et les procès. Saison 3 : la renaissance et la télé réalité qui annonce la saison 4, la marche vers la Maison-Blanche. Aujourd’hui, on est au début de la saison 5 : la présidence « Fire and Fury ».
Pendant plus de dix ans, entre 2004 et 2015, Donald Trump est apparu toutes les semaines dans les salons de millions d’Américains avec les deux programmes de télé-réalité « The Apprentice » puis « The Celebrity Apprentice ». Trump s’est installé dans le quotidien de l’Amérique profonde. En apparaissant comme un patron intraitable, qui, depuis son fauteuil rouge, invectivait et mettait à l'épreuve des candidats à un poste de cadre au sein de son empire. Sans la télé-réalité, il n’y aurait jamais eu de Trump président. Sa réplique fétiche « You’re fired » (« vous êtes viré »), sorte de mantra télévisuel omniprésent, est devenu « Make America Great Again! », son slogan de campagne.
On en est là. Quarante-deux millions d’abonnés sur Twitter. « J’ai un plus gros bouton nucléaire que toi, connard ! » Les tweet compulsifs de Donald Trump ont logiquement pris le relais de la télé-réalité.
Vous avez tout vu !
Une petite erreur au chargement