Moins qu’hier…
En général c’est tous les six mois que l’on relit quelques pages. Des « capsules de vitalité ». Après l’épisode du printemps, c’est devenu plus aléatoire. C’est avec la BD « Zaï Zaï Zaï Zaï » en 2017, que l’on a plongé, sans retenue, dans le monde absurde et déjanté du dessinateur Fabcaro.
Ses obsessions nous réconcilient avec le genre humain, mettant la réalité à distance. La banalité des sentiments, la monotonie du couple, l’envie de décalage, un humour à mi-chemin entre les « Rubrique-à-Brac » du grand Gotlib (sa référence absolue) et l’esprit Canal+ des grandes années. Fabcaro écrit des histoires. Il se sent plus scénariste que dessinateur.
Dans « Moins qu’hier (plus que demain) » (Glénat BD), ce sont des histoires de couples. 14 h 27. Delphine et Pierre, la trentaine passée, esquissent une discussion. Six cases quasi identiques.
— Mon tendre amour, tu te souviens de notre première rencontre ?
Pierre se tourne vers Delphine et lui répond.
— Comme si c’était hier… C’était dans une discothèque, je voulais sortir avec ta copine Vanessa, elle était super bien… Mais comme elle a pas voulu et que j’étais complètement torché, je me suis rabattu sur toi… Et comme tu es tombée enceinte après notre premier rapport, on est resté ensemble, je me suis dit “Bof, celle-là ou une autre”.
— Hein ??!! Mais… tu m’avais jamais dit tout ça !!!
— Je suis pudique, tu sais…
Enfant, le Montpelliérain Fabrice Caro, de son vrai nom, dessinait tout le temps. On lui disait : « Oui c’est bien, mais dessiner des petits bonshommes, c’est pas un métier ! » L’histoire du « vrai métier » qui pourrit ta jeunesse. Jusqu’au jour où il va laisser son boulot de prof pour se consacrer à la bande dessinée.
Petits éditeurs, petits tirages. Un rythme de travail acharné pour mettre à distance le stress d’être encore vivant. Hypocondriaque et angoissé, enchaînant album sur album… Et puis arrive « Zaï Zaï Zaï Zaï », paru en 2015 chez l’éditeur 6 Pieds sous terre. Et là, du jour au lendemain c’est plus de 200 000 lecteurs qui le portent en triomphe. Alors, il faut garder la tête froide. « Mon cap a toujours été “Ne pense pas aux lecteurs sinon tu vas faire un truc tiédasse”. »
Ce que l’on a perçu en découvrant l’univers de Fabcaro, c’est une forme de liberté et de timidité. Celle d’un enfant venant d’un milieu modeste. Annie Erneaux en parle très bien dans ses romans, ce côté transfuge de classe. Un milieu où la culture ne devait pas être très présente. À travers le dessin, Fabcaro a entraperçu une porte qui allait lui permettre de trouver un monde tout personnel. Et l’on adore s’échapper avec lui.