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56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris
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Likes destructeurs

Tous les matins en allant bosser à vélo, Patrik Svedberg longeait le lac Vättern (sud de la Suède). Il passait devant un gros arbre qui ressemblait à ce qu’il détestait manger depuis son enfance, des brocolis.

Donc tous les matins, ce photographe se disait qu’il passait devant le “Broccoli Tree”. Et puis un jour, c’était au printemps 2013, il s’est arrêté et a pris un cliché. Arrivé à l’agence photo, il a posté l’image sur son compte Instagram. Les matins suivants, Patrik Svedberg a fait d’autres photos, qu’il a continué à partager sur le réseau social. Le ciel changeait, les feuilles poussaient. Les likes ont afflué.

En avril 2014, le photographe a ouvert un compte Instagram consacré au Broccoli Tree. Une page Facebook dédiée a suivi. L’arbre sous la pluie. L’arbre avec un oiseau qui vole au-dessus. L’arbre sans feuilles l’hiver. Et toujours plus de likes.

Les gens des environs sont venus pique-niquer vers l’arbre, d’autres faire leur jogging. La vie locale s’est organisée autour du Broccoli Tree. Tous les matins, en arrivant à l’agence, Patrik constatait que les abonnés étaient toujours plus nombreux. Jusqu’à 30 000 followers sur Instagram.

Ça lui faisait du bien de se dire qu’il y avait ce rendez-vous régulier avec tant de gens sensibles à l’arbre. Les likes venaient comme des encouragements pour la journée. À l’été 2015, Patrik a organisé une exposition de ses photos au pied du Broccoli Tree. Succès. Il a même lancé l’édition d’un calendrier.

Un jour, quand il s’est arrêté devant l’arbre, il y avait un combi Volkswagen et cinq motos. Les gens s’étaient renseignés et ses photos faisaient venir des curieux de beaucoup plus loin. Google Maps avait référencé The Broccoli Tree comme lieu d’intérêt touristique. On trouvait maintenant la balise de localisation sur la carte de cette région de Suède. Patrik a posté un commentaire : “Waouh, tellement content de pouvoir partager quelques instants avec vous sous ce bel arbre !”

Mais le lendemain, vers 8 h 20, il a découvert des initiales entaillées dans l’écorce de l’arbre. Il a repris son vélo, inquiet. En se retournant, il y avait deux ados qui sautaient en l’air pour attraper des feuilles. Quelque chose d’incontrôlable était en marche. Et puis en fin de semaine, la blessure.

Dans la nuit, des dingues avaient eu la mauvaise idée de scier une branche, sans pouvoir l’emporter comme un trophée. Alors bien sûr que Patrik a fait une photo en ajoutant un commentaire : “Des abrutis ont scié une branche il y a deux ou trois jours, elle tient à peine et finira par tomber. […] Le problème, c’est qu’on ne peut pas dé-scier un arbre.”

Le coup de grâce est arrivé deux mois plus tard. La branche estropiée avait pourri et l’arbre menaçait de s’effondrer. Les services municipaux se sont déplacés pour le couper, ne laissant que les troncs. À la fin de l’année 2017, soit quatre ans et demi après la première photo, les likes avaient eu raison de l’arbre que Patrik avait découvert.

Depuis, chaque matin, il ne longe plus les bords du lac, il fait un détour plus au nord pour rejoindre l’agence. Il vient de créer un compte Instagram où le week-end, il poste des photos de carottes bio achetées au marché. Sa mère préparait une incroyable purée de carotte. Il a déjà plus de 3 000 abonnés.