Les corbeaux du confinement
Au printemps dernier, il n’a fallu que quelques jours avant que les appels téléphoniques ne saturent les standards de la police. Alors qu’à vingt heures, tout le monde allait à sa fenêtre pour applaudir les soignants, d’autres restaient discrets pour observer le comportement de leurs voisins et les dénoncer…
Dans certaines grandes agglomérations comme Bordeaux, près de 70 % des appels reçus par la police concernaient des dénonciations de voisins qui ne respectaient pas les règles. « Allô, oui, bonjour, je ne souhaite pas vous communiquer mon identité, mais je tenais à vous prévenir que mon voisin du troisième sort son chien quatre à cinq fois par jour… et c’est comme ça tous les jours ! C’est au 68, de la rue Sainte-Catherine. » Et à Strasbourg, sur 500 appels journaliers, plus de la moitié était des dénonciations.
En Corée, et ce bien avant le confinement, la délation est non seulement encouragée, mais récompensée. Quand tu dénonces ton voisin, tu reçois de l’argent. « Une photo d’un passant jetant son mégot et je gagne 30 000 wons (20 euros, ndlr) ! » Pour certains, c’est devenu leur principale source de revenus. Il y a même des centres pour former des délateurs professionnels.
On nous parle, depuis des années, de surveillance généralisée, de reconnaissance faciale. D’Orwell bien sûr qui n’a jamais autant suscité d’intérêt avec son concept de fake news et de vérité alternative. “Big Brother is watching you” dans son roman 1984, mais on a oublié un point important développé dans ce livre culte, c’est “La Semaine de la haine”, le fait de pousser chacun à se méfier, à détester son voisin, à le haïr.
En octobre 1941, l’administration de Vichy avait adopté une loi encourageant la dénonciation. Trois ans plus tard, devant l’avalanche de lettres anonymes, le régime de Pétain faisait machine arrière, en promulguant une loi réprimant la “dénonciation calomnieuse”.
En France, et malgré les idées reçues, ce n’est pas la police qui reçoit le plus de messages anonymes, mais les services de Bercy, les impôts et la CAF.
« Vous savez, monsieur, si je vous contacte, c’est uniquement pour l’intérêt du bien commun, je n’ai pas de liens particuliers avec cette personne, mais c’est la 3e fois, cette année, qu’elle vient d’acheter un gros SUV !»
Les corbeaux se portent toujours bien en France.