Lecture ou lectures ?
Il y a toujours quelque chose qui coince avec les ados, en gros, ça ne va jamais ! Il fut un temps, lointain, où les adultes s’inquiétaient de les voir passer trop de temps le nez dans les livres. Et puis ce fut la télévision, « Tu regardes trop la télévision, tu t’abrutis ». Puis les jeux vidéo. Aujourd’hui, ce sont des adolescents qui seraient rivés H24 à leur écran de portable. « Et vous savez quoi, Monsieur ? Eh bien, les jeunes ne lisent plus ! »
Pourtant, quand on regarde d’un peu plus près, on constate que les choses ne sont pas aussi simples. Et que cela va même à l’encontre des idées reçues.
En mars dernier, un sondage commandé par la profession du livre en a étonné plus d’un. Les adolescents de la génération Z lisent plus que ceux du début du XXIe siècle. Les chiffres sont là et traduisent une vraie tendance. Alors que les 13-19 ans possèdent en moyenne trois écrans personnels (smartphone, console, ordinateur…), ils lisent plus de trois heures par semaine et consacrent treize minutes de plus à la lecture, qu’il y a six ans. « Hé oui, figurez-vous, Madame, qu’il paraît que les jeunes lisent de plus en plus. »
Alors, comment cette inversion de tendance s’explique-t-elle ? Le cas d’école, c’est “After”, le phénomène littéraire jeunesse - plus de 12 millions d’exemplaires vendus dans le monde, dont 5 millions en France -, qui est ce que l’on appelle de la romance décomplexée, un dérivé de “Cinquante nuances de Grey”.
Au départ, on a un livre qui va être adapté à l’écran. Promotion, visibilité, c’est souvent sur les réseaux sociaux que ça se passe, sur Tik Tok ou via quelques influenceurs. Un ado entend parler de la saga et regarde les premiers épisodes sur Amazon Prime Video. En parallèle, une version est déclinée en roman graphique. “After” va aussi être adapté en webtoon, des BD numériques à faire défiler sur smartphone. Souvent le point d’accroche, c’est l’identification aux personnages.
Dans un deuxième ou troisième temps, l’ado devient tellement fan qu’il va lire les cinq tomes de l’édition papier… soit 2 500 pages. C’est un schéma que l’on retrouve pour les séries qui marchent bien aujourd’hui, les fictions de l’imaginaire. Tout ce qui est dystopie, uchronie, fantasy, post-apocalyptique, là où les “jeunes lecteurs” se retrouvent dans des logiques d’évasion et d’invention. C’est ce qui avait fait le succès, il y a quelques années, des best-sellers “Twilight”, “Hunger Games”, “Divergente” ou encore “Labyrinthe”.
Pour les adolescents, les mondes ne sont pas cloisonnés, bien au contraire. On est dans des logiques de rebonds, de portes que l’on entrouvre. “Illusions perdues”, le film de Xavier Giannoli, a donné envie de lire Balzac, résultat, en quelques mois rupture de stock chez l’éditeur qui n’avait absolument pas anticipé ce regain d’intérêt.
Cette génération d’adolescents est à l’image de son approche des supports. Elle passe de l’un à l’autre. Elle glisse, fait défiler les narrations, rebondit. Une génération insaisissable et imprévisible. Vivante donc.