Le silence de Birkenau
On se souvient du ton solennel d’André Malraux devant le catafalque noir dressé sur les marches du Panthéon. “Entre ici, Jean Moulin, une armée d’ombres t’accompagne… ”
On se souvient de mai 1981, un homme qui remonte la rue Soufflot, une rose à la main. L’espoir d’avoir 20 ans. La joie de voir la gauche au pouvoir. Et puis récemment, c’était quatre grands portraits de résistants accrochés aux colonnes. Quatre portraits dessinés par Ernest Pignon-Ernest.
Ce dimanche 1er juillet, c’est Simone Veil accompagnée de son mari Antoine qui entre au Panthéon. Neuf heures, il fait très beau ce matin dans les rues de Paris. La veille, les cris de joie ont accompagné l’équipe de France se surpassant en battant l’Argentine de Messi.
On arrive à l’entrée de la tribune des invités de la rue Cujas. Contrôle, fouille des sacs. Devant nous, “madame, vous n’avez pas d’invitation officielle” ! La femme âgée relève sa manche et montre le matricule tatoué sur son bras. “Ça va, ça ?” “Entrez Madame, désolé !”
Les personnalités arrivent. Les deux tribunes se remplissent. Il est 11 heures, la cérémonie commence. Et l’on entend la voix de Simone Veil. “Le Kadish sera dit sur ma tombe !” C’est le début de la remontée des deux cercueils vers le Panthéon. Remontée dans le temps. Les étapes importantes de la vie d’une femme qui aura été un acteur de l’histoire du XXe siècle.
La monté du fascisme, la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration… Simone Veil voulait travailler, être engagée. Elle deviendra magistrate, première femme magistrate. Première femme à être nommée secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature. Première femme ministre d’État et ce à la Santé. Elle présentera à l’Assemblée nationale la loi sur l’interruption volontaire de grossesse qui dépénalise l’avortement. Cette loi entrée en vigueur le 19 janvier 1975 porte, depuis, son nom.
Députée européenne. Première présidente du Parlement européen. Première femme membre du Conseil constitutionnel. En 2010, un sondage Ifop la présentait comme la “femme préférée des Français”.
Les deux cercueils sont déposés devant l’entrée du Panthéon. Emmanuel Macron est en tribune, il va prononcer un discours dense et émouvant. Une Marseillaise clôturera les mots du président, avec une anecdote bouclant sur l’histoire de la déportation de Simone Veil.
“Aujourd’hui, la France vous offre un autre chant, celui dont les prisonnières de Ravensbrück avaient brodé les premières paroles sur des ceintures de papier ; et qu’elles chantèrent le 14 juillet 1944 devant les S.S médusés. Ce chant que les déportés, chacun dans leur langue, entonnaient lorsque leur camp était enfin libéré, car ils le connaissaient tous par coeur. […]. Qu’il soit aujourd’hui, Madame, le chant de notre gratitude et de la reconnaissance de la nation que vous avez tant servie et qui vous a tant aimée. Ce chant, c’est la Marseillaise.”
Et puis, un moment inoubliable, d’une simplicité et d’une intensité incroyable. Une minute de silence du camp de Birkenau, là où fut internée Simone Veil en 1944-1945. Le 17 juin dernier, on a enregistré ce son, à 5 heures du matin. On y entend des insectes, on y entend le chant des oiseaux à l’aube. Le silence.