[javascript protected email address] 01 82 73 14 81
56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris
[javascript protected email address] 01 82 73 14 81 56, rue du Faubourg Poissonnière - 75010 Paris

La sucette et le fusil

Il a fallu du temps, après la sidération et la stupeur, pour que l’on mesure à quel point nous n’étions pas préparés à la guerre. Ce matin, on a retrouvé une photo qui avait retenu notre attention. C’était deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Un ingénieur de Kiev, conscient de l’imminence du conflit, avait imaginé mettre en scène sa propre fille de 9 ans, fusil dans les bras et sucette à la bouche, en train de scruter l’horizon incertain. Faire une photo qui a du sens, faire un symbole de la résistance.

C’était le 22 février et les médias parlaient d’escalade, mais la guerre semblait impensable, inimaginable. « Cette guerre ne pouvait pas avoir lieu. » Sauf que cet ingénieur, cette guerre, il la sentait imminente.

Il fallait montrer sur les réseaux sociaux que les Ukrainiens étaient prêts à défendre le pays.

Il s’agissait, pour lui, de provoquer l’opinion publique.

« Quand j’ai publié la photo, la veille de l’invasion, certains m’ont critiqué. Pourquoi avoir fait poser une fillette, arme à la main ? Et puis le 24 février au matin, Poutine a envahi le pays et je n’ai plus eu de messages. » En quelques heures, tout s’est effondré.

Et ce que l’on avait imaginé d’un Nouveau Monde, où les mentalités avaient évolué, où les hommes et les femmes partagent un quotidien de vie, fait d’attention et de respect, tout a été balayé en quelques heures.

La guerre ne broie pas que les corps et ne détruit pas que les bâtiments, elle ramène quasi instantanément les vieux stéréotypes des temps anciens : les hommes qui se battent pour leur pays, leur famille, et les femmes en pleurs.

Et les images ont suivi, les hommes, armes à la main, et les femmes bébés dans les bras.

Une autre photographie a fait la Une de nombreux quotidiens.

Sur le quai de la gare de Kiev, un homme fait un signe de la main à travers la vitre d’un wagon, à sa femme et à son enfant en larmes fuyant la guerre.

« Hommes courageux et femmes en pleurs ». L’impression de revoir les affiches de propagande
de la Deuxième Guerre mondiale.

Demain, il va falloir reconstruire tout ce que Poutine est en train de détruire. Quant aux stéréotypes, cela mettra beaucoup de temps pour rattraper le temps perdu.