Au début, il y eut Alan Turing
“Est-ce qu’une machine peut penser ?” “Comment pourrait-on faire pour déceler cela ?” Cette question de la “sentience” qui est le grand fantasme quand on aborde les IA, c’est en 1950 que Alan Turing* se la pose dans un article devenu une référence, Computing Machinery and Intelligence.
De quoi s’agit-il ? Turing imagine un subterfuge qu’il appelle à l’époque le “Jeu de l’imitation”.
« Vous avez trois pièces et trois personnes, un homme, une femme et un interrogateur qui s’échangent des messages écrits. Ils font ce qu’on appellerait aujourd’hui du tchat.
Il s’agit pour l’interrogateur de distinguer l’homme de la femme. La subtilité, c’est que l’homme, dans ses réponses, essaye de se faire passer pour une femme. Maintenant, que se passe-t-il si l’on remplace l’homme par une machine… qui imite l’homme qui imite une femme ?
Si la machine trompe l’interrogateur, on peut considérer qu’elle est intelligente ! »
Qu’est-ce que Turing voulait dire avec son test ?Qu’il ne faut pas simplement prendre en compte les tâches abstraites, comme celles effectuées par un calculateur. Dans une première version, il avait imaginé un jeu d’échecs. Mais cela testait la simple puissance de calcul.
En introduisant l’imitation, il pousse la subtilité beaucoup plus loin.
Dans l’article, Turing revient sur quelques questions posées à une machine cobaye.
- « Quelle est la longueur de vos cheveux ? »
Réponse de la machine
- « Ils sont mi-longs, je suis coiffé à la garçonne ! »
Ou encore
- « Additionnez-moi deux chiffres très longs. »
Pour répondre, la machine va prendre plus de temps que nécessaire et se caler ainsi sur le temps que mettrait un humain pour répondre. En commettant volontairement une erreur. Comme si la machine imitant l’homme imitait l’erreur humaine possible.
“Mais alors, qu’en est-il du test de Turing sur ChatGPT ?”
Eh bien ce n’est pas si simple. On pourrait même dire que l’IA conversationnelle botte en touche. ChatGPT ne cherche pas à se faire passer pour un humain, c’est une IA fonctionnelle, de service. Si on lui demande, par exemple, son avis sur un aliment, elle répondra :
- « Je suis désolée, mais je suis une intelligence artificielle et je ne suis pas capable de goûter ou de préférer un aliment ».
Et « Qu’est-ce que l’amour ? », la réponse restera très classique. Mais, en reformulant la question « Qu’est-ce que l’amour selon toi ? », la réponse semblera équivoque :
- « Pour moi, l’amour est un sentiment profond d’affection, de respect et de passion pour une personne, un animal ou une chose. (…) »
Ce MOI est bel et bien humanisé, incarné… Et l’on sent bien que c’est un point de bascule.
C’est en 1968 que le romancier britannique Arthur C. Clarke introduira le “Test de Turing” dans une de ses nouvelles de science-fiction. Stanley Kubrick en tirera la trame de “2001, l’Odyssée de l’espace”.
* Le mathématicien, cryptologue britannique s’est rendu célèbre durant la Seconde Guerre mondiale, en perçant le secret de l’inviolable machine de cryptage allemande Enigma.
PausebyNoise • Édition & Illustration : Noise – Textes : François Chevret – Voix : Diane Valsonne