Appel à déserter
Ils sont huit à être montés sur scène dans une ambiance festive. Quatre garçons et quatre filles, étudiants et étudiantes à AgroParisTech, la prestigieuse école d’ingénieurs agronomes. Ils ont été formés pour exercer leur métier dans les secteurs de la transformation agro-industrielle, des ressources agricoles et forestières, des biotechnologies.
C’était le 30 avril dernier et la direction de l’école ne s’attendait pas au discours que les nouveaux diplômés avaient préparé. Comme une mise au point définitive ! Un discours appelant à déserter les emplois qui leur étaient réservés. Un discours de combat, un discours de refus et de prise de conscience.
« Ce que nous voyons, c’est que l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie, partout sur terre. AgroParisTech forme, chaque année, des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie, de diverses manières : trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui renforcent l’asservissement des agriculteurs ; concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les maladies causées ; inventer des labels “bonne conscience” » Dans la salle, certains sont médusés, beaucoup applaudissent cette bifurcation qui marque les esprits et ne laisse personne indifférent. « Nos métiers sont destructeurs, il est temps d’agir ! »
En quelques jours, la vidéo va être massivement relayée, plus de 400 000 vues sur YouTube. « Ne perdons pas notre temps, ne laissons pas filer cette énergie qui bout en nous. Désertons, avant d’être coincés par les obligations financières. »
Alors que vont-ils faire demain ? Ils vont venir parler de leur conversion, ce que seront les jours prochains. L’une fait déjà de la culture vivrière à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un autre prépare son installation comme apiculteur dans le Dauphiné, l’une vient de rejoindre le mouvement “Les Soulèvements de la terre”, contre l’accaparement des terres agricoles, un garçon vit à la montagne en faisant un boulot saisonnier, deux s’installent dans une ferme collective.
Il y a quelques jours, ce sont 150 étudiants des Écoles normales supérieures qui, à leur tour, ont pris la parole dans une tribune du Monde intitulée “Alignons notre pratique scientifique sur les enjeux impérieux de ce siècle”, et dans laquelle ils posent cette question : « Que restera-t-il du vivant à étudier, si nous n’avons rien fait pour l’empêcher de s’effondrer ? »
Quelque chose bouge. C’est toute une génération, du moins une partie, qui aujourd’hui, déserte la carrière qui leur était destinée et ose dire non à un système économique prêt à leur offrir de gros salaires. Un autre monde est possible, dit-on, ces jeunes gens l’entrevoient et c’est plutôt encourageant !