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Le temps de lire

On pensait à ça ce week-end, en relisant des passages du « Vernon Subutex » de Virginie Despentes. « On ne peut pas vivre dans un monde où les objets sont conçus pour être remplacés le plus vite possible. »

On est au XXIe siècle et, même si cela peut sembler paradoxal, la dématérialisation n’a pas tout englouti… on ouvre encore des livres pendant des heures, des jours même. « Non, non, je te rassure, je ne suis pas devenu bouddhiste… Je ne vise pas le Saint-Graal de la Rolex à 50 ans. »

Quelle étrange idée que de prendre le temps de lire un livre ! On se retrouve de fait, en décalage avec le monde.
— Tu fais quoi, là ?
— Je relis un livre que j’ai beaucoup aimé, cet été !
— Ah bon... ça ne va pas, en ce moment ? T’es sous antidépresseurs ?

On en arrive à s’enfermer dans une pièce, à s’isoler dans le train, à ne plus voir personne, à ne pas consulter de façon compulsive son smartphone. On en arrive même à préférer ça, plutôt que d’aller boire quelques bières avec des potes (là quand même, faut vraiment que le livre soit hors du commun).

Comme si le livre, les mots du livre, nous proposaient quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs. Il y aurait comme un temps particulier qui ne ressemble en rien au temps de notre quotidien. Car il faut bien le dire, le temps dominant que nous vivons aujourd’hui, c’est celui de l’économie. Le temps qui défile à vitesse grand V, comptabiliser, classer, compter, recompter. Chronométrer. Le temps des winners, des challengers, des compétiteurs, des gagneurs. Pas trop le temps des lecteurs…

La littérature a ce pouvoir de freiner le temps, de le retarder. La littérature vient comme une opposition au rouleau compresseur qui nous pousse à courir du matin au soir. Le petit-déj en consultant son fil Twitter et en écoutant la revue de presse à la radio. Prendre le métro en courant dans les escaliers. Commencer à bosser avec le rythme des mails qui tombent, comme les assiettes qui s’empilent dans l’évier. « Allô, t’as pas eu mon mail, il y a dix minutes ? Comme t’as pas répondu, je crois que t’as pas bien compris que c’était super urgent. » Marre des « À très vite ! À très bientôt ! À tout de suite ! »

Un contre-pouvoir du livre, comme on parlerait de contre-culture. Un truc qui vient s’opposer à l’accélération ambiante, qui agrippe le temps pour nous plonger dans une narration. Juste le temps d’ouvrir un livre.